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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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l'hôtelière.
    – Si fait. Rolande est ma puînée 10 . Je suis de quinze ans son aînée. Autant dire qu'elle m'a toujours considérée comme sa deuxième mère. Lorsque Rolande a été élevée et a fait vœu de se retirer du monde, j'ai moi-même choisi la paix du cloître. Quelles magnifiques années de paix et de prière j'ai passées à Clairmarais 11 . Et puis, l'âge venant, les douleurs de membres et de dos me rattrapant, j'ai souhaité me rapprocher de ma seule famille, ma cadette. Ma bien-aimée mère abbesse a accepté ma requête et mon transfert. Et me voici ! Assez parlé de moi. Rolande ne tarit pas d'éloges à votre sujet. Votre gentillesse, votre finesse d'esprit et votre délicatesse de langue…
    – C'est qu'elle est fort généreuse en plus d'être aimable. Sans doute en êtes-vous informée, j'ai gravement menti à toutes. D'une certaine façon, je les ai trahies en me faisant passer pour moniale quand je cherchais un refuge où me terrer.
    Le sourire mourut sur les lèvres de Marguerite, qui hocha la tête d'un air douloureux :
    – Oh, mon petit. Je sais tout cela. Que celui qui n'a jamais péché vous jette la première pierre. Vous ne risquez donc rien ! Qui dit de quoi nous serions capables si nos vies étaient menacées, car c'est de cela qu'il s'agissait, n'est-ce pas ?
    – En effet.
    – Eh bien, je vous l'annonce tout net : ce serait folie de vous en tenir rigueur. Allons, assez de ces vilains souvenirs. Rien qu'à leur narration, des frissons d'horreur m'ont saisie. Dieu du ciel, quelles monstruosités vous avez toutes traversées céans. Il faut nous appliquer à les effacer peu à peu. Installez-vous, chère Alexia. None ne tardera pas, mais je vous viendrai visiter ensuite afin de m'assurer de votre confort.
    Elle disparut sur un rire de gorge.
    Alexia aligna sur le lit étroit les vêtements qu'elle avait choisi d'emporter pour leur modestie. Trois chainses de soie, une folie, mais une folie si réconfortante à l'hiver. Une robe de laine gris soutenu et son touret 12 assorti. Une autre, plus luxueuse, d'épais cendal jaune safran retenue à la taille par une mince ceinture orfévrée, avec sa housse 13 mi-longue de même matière, d'un vert lumineux qui évoquait le printemps, son mantel à aumusse doublée de loutre. Elle avait dédaigné la merveille de tiretaine 14 fourrée de zibeline, trop riche, trop voyante pour ce lieu d'austérité. Nul bijou hormis la croix d'améthyste retenue par une fine cordelette de cuir, cadeau des deux filles du comte de Mortagne qui l'avaient accueillie avec une joie non feinte, et sa bague de promise, une large émeraude en forme d'amande bordée de perles grises qui lui couvrait toute la phalange.
    Cette mince occupation expédiée, elle s'installa sur le lit, son esprit vaguant dans ses souvenirs. Quel étonnant retournement. Elle avait détesté ce lieu, une geôle, au mieux, un avant-goût du purgatoire à ses yeux. Une absolue incompréhension l'avait conduite à se demander mille fois, cent mille, pourquoi des femmes bien nées, de fortune et d'avenir souhaitaient s'y enterrer. Dieu, certes ! Retrouver, suivre Dieu. Toutefois, selon l'Alexia de l'époque, on pouvait également y parvenir dans le confort, voire le luxe que la naissance vous avait réservé. Quelle étrangeté ! Aujourd'hui qu'elle n'avait plus à s'y terrer, aujourd'hui qu'elle avait le choix, elle se sentait bienvenue entre ces murs rébarbatifs, apaisée, heureuse. Une sorte de tranquille légèreté avait remplacé la pesanteur suffocante des dernières semaines. Ne lui manquait, cruellement, qu'une chose, une chose fondamentale : son amour, Aimery. Elle se souvint de tous ces colifichets qui la ravissaient, ces rubans et ces épingles de cheveux, de tous ces beaux atours devant lesquels elle se pâmait. Était-elle devenue adulte sans même s'en rendre compte ? De courtisane choyée et superficielle qui évalue sa séduction, donc sa survie, à l'aune des onéreuses frivolités qu'on lui offre, était-elle devenue une femme réfléchie et posée, une véritable amoureuse ? Elle étouffa un rire : au fond, cet inattendu sérieux, celui-là même qu'elle avait jadis jugé ennuyeux à périr, lui allait comme un gant de belle facture.
    Excédée à l'habitude, Agnès Ferrand, sœur portière 15 , siffla entre ses dents :
    – Encore une bévue ! Décidément, elle les accumule, pesta-t-elle en songeant à l'abbesse.
    Fort peu de chose rachetait la

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