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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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piètre esprit dont on créditait son ancienne abbesse. Aussi cette dernière n'avait-elle pas été fâchée de se débarrasser d'une fille qui s'obstinait, sans même le souhaiter, à lui rappeler que Dieu dispense l'intelligence selon Son impénétrable bon plaisir : de façon bien inégale.
    Sans doute impatiente de se délasser les membres du bas après ce long déplacement, Mary de Baskerville – dédaignant l'escabeau de dame qu'un des gens d'armes qui les avaient menés s'apprêtait à installer – sauta à son tour du fardier et se rétablit avec une aisance peu commune pour une religieuse. Étonné par sa souplesse musclée, Arnoldus la dévisagea sans ménagement alors qu'il s'était appliqué à détourner son regard d'elle durant deux jours. Un fard presque cramoisi se répandit sur les joues de la femme, remontant jusqu'à son front pâle, évoquant une douloureuse brûlure. Elle était de haute taille pour une représentante de la douce gent, le dépassant d'une bonne demi-main. Mince et pourtant charpentée, elle devait être âgée de vingt-cinq ou vingt-sept ans. Alors qu'elle était indiscutablement jolie, de traits sans fadeur, quelque chose chez elle dérangeait le regard. Arnoldus mit le doigt dessus. Des yeux bleu myosotis frangés de cils blonds, surmontés de sourcils tout aussi pâles, faisaient paraître son visage glabre. S'ajoutait sa peau d'une pâleur de spectre, si fine et translucide que l'on devinait le réseau de veines bleu-vert qui courait sous ses tempes, au point que l'on aurait cru l'un de ces albinos que l'on montrait dans les foires.
    Une voix grave, lente, s'éleva :
    – Connaissez-vous, messire, l'histoire de ce monastère ? J'avoue ne pas avoir eu le temps de m'y intéresser avant mon départ. Je le déplore. C'est grande discourtoisie de ma part alors que l'on m'y accueille avec chaleur, si j'en juge par ce que m'a confié mon ancienne mère avant mon départ.
    Un très léger accent anglois rythmait ses phrases de curieuse et agréable façon.
    Il s'agissait sans doute de la phrase la plus longue qu'elle ait formulée depuis leur départ et, en tout cas, de sa première question. Arnoldus se fit donc un plaisir d'y répondre :
    – L'abbaye commence en bordure de forêt des Clairets, sur le territoire de la paroisse de Masle 1 . Nous parlons de centaines d'arpents*. Pour ce que j'en ai appris, la construction du monastère a duré sept ans, pour s'achever en 1212. Moult privilèges ont été concédés à ce monastère de femmes, l'un des plus importants du royaume, comme vous ne l'ignorez pas. Il est très généreusement doté, exempté d'impôts et de charges, et vos futures sœurs peuvent se fournir en bois de chauffage et de construction dans les forêts appartenant aux comtes de Chartres. S'ajoutent des terres à Masle et au Theil, ainsi qu'une rente annuelle très substantielle, encore grossie par la libéralité des bourgeois ou des seigneurs, voire des riches paysans.
    – Une belle puissance en vérité, commenta Mary de Baskerville. Bien plus impressionnante que celle de mon ancienne abbaye du sud.
    – Certes, toutefois le climat est ici moins clément.
    L'abbaye des Clairets avait droit de haute, de moyenne et de basse justice. Les abbesses y avaient prérogative de seigneur en la matière, laquelle incluait les condamnations à la flagellation, à l'amputation, voire à mort. Les fourches patibulaires 2 servant à l'application des sentences s'élevaient à quelques centaines de toises de l'enceinte. Elles avaient été dressées au lieu-dit du Gibet 3 .
    – Je m'en accommoderai. Se joint-il à votre impressionnante liste une réputation de charité ?
    – C'est ce que j'ai ouï dire. Votre nouvelle mère est, en ce domaine, la digne continuatrice de madame de Normilly.
    – Une bienfaisance sans mièvrerie dispendieuse, je l'espère, poursuivit la femme.
    Un peu étonné, Arnoldus la considéra. Elle reprit :
    – Il est des pauvres frappés par une mauvaise fortune, que Dieu met sur notre chemin afin que nous les aidions. Et puis, il reste les autres. Ceux qui profitent en déhontés de leurs pustules, de leurs moignons afin d'ôter le pain de la bouche des véritables nécessiteux. Il nous faut savoir les distinguer et les écarter sans plus d'atermoiements.
    Démonté par le petit ton cassant, par ce péremptoire jugement, Arnoldus argumenta :
    – Dois-je en conclure que vous avez la perspicacité requise pour différencier les

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