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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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comprit que celui-ci soupesait ce qu'il lui avait rapporté. Il balaya la vaste pièce d'études d'un regard discret. Les murs lambrissés de chêne sombre, les hautes fenêtres géminées 1 , les épais tapis d'Orient jetés sur le sol, tout indiquait le luxe. Approcher de si près le pouvoir, la fortune et les stratagèmes des grands avait toujours grisé Bernard, ce qui expliquait en grande partie qu'il se soit vendu à monseigneur de Valézan, quitte à trahir sa maîtresse, l'abbesse 2 . Après la mutinerie des ladres 3 , juste avant de rejoindre ses terres, le comte de Mortagne, qui avait failli le pourfendre pour lui faire avouer l'endroit où se terrait son ancien commanditaire, Jean de Valézan, l'avait à nouveau approché. Cette fois-ci avec une proposition bien différente, un alléchant chantage. Bernard devenait son homme en l'abbaye, ou Plaisance de Champlois était aussitôt informée du double jeu de son messager. Le choix avait été aisé. Soupesant d'un côté l'ire de l'abbesse et le châtiment qui ne manquerait pas de tomber sur lui en punition de sa fourberie, de l'autre le plaisir et l'orgueil confidentiels que lui procurait ce rapprochement d'un homme de puissance, rapprochement qui ne manquerait pas de se traduire en belles espèces trébuchantes, Bernard avait accepté sans se faire prier. D'autant que le comte de Mortagne, au contraire de monsieur de Valézan, avait belle réputation et qu'il était un allié de l'abbaye. En d'autres termes, si déloyauté il y avait, elle était au profit de l'abbesse et de ses filles. Rasséréné par cette imparable conclusion, Bernard était devenu les yeux et les oreilles du comte.
    – Une nouvelle apothicaire… passe encore. Mais Arnoldus de Villanova en personne, dis-tu ? Morbleu 4  !
    – Si fait, monseigneur. J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un très important personnage. Il semble avoir toute liberté d'aller en l'abbaye. On le voit partout.
    – Afin d'étudier des simples de la région ? Et que compte-t-il récolter en cette époque, notre bon Arnoldus ?
    – C'est également la réflexion que je me suis faite.
    – Sois vigilant à son égard. Il nous réserverait un coup de l'âne que je n'en serais guère surpris. Si l'on en croit de persistantes rumeurs, monsieur de Villanova a toujours eu du goût pour les missions d'espionnage. (Mortagne réprima un sourire avant de rectifier :) Ou plutôt, soyons magnanime, pour la diplomatie, qu'elle soit royale ou pontificale. L'homme est retors et très intelligent. Cela étant, nulle réputation de crapulerie ne le précède.
    Bernard contenait à grand-peine sa satisfaction. Il lui semblait que son nouveau maître, pourtant peu enclin à la familiarité, se révélait un peu. Une idée le gonflait d'allégresse : et s'il parvenait un jour à remplacer, auprès du comte, le sieur Malembert, le compagnon de toujours tombé sous les coups de lame des nervis de monseigneur de Valézan ? Lui, Bernard l'anonyme, confident privilégié du comte ? Lui, Bernard l'obscur, enfin dans le secret d'un grand ? Après tout, lui aussi était un pôté 5 que le travail de la terre n'avait jamais séduit, pas plus que l'armée. Étrangement, Bernard, qui n'avait jamais hésité à duper, à trahir, se sentit soudain une absolue loyauté pour l'homme énigmatique assis sur son banc-coffre.
    – Fichtre, commenta Mortagne pour lui-même. (Levant à nouveau son inquiétant regard gris plomb vers le messager, il s'enquit :) Or donc, notre bonne mère abbesse est parvenue à convaincre son chapitre d'offrir accueil aux pauvres monstres ?
    – Si fait, jusqu'à la saison douce. Il faut dire que depuis le trépas de madame de Valézan et de son acolyte madame de Ludain, l'assemblée des discrètes lui est pratiquement acquise. Ce n'est pas la bile de cette vilaine fouine d'Agnès Ferrand, que toutes évitent, qui y changera quoi que ce soit. N'empêche, ils sont hideux comme le diable !
    – Si le diable était véritablement hideux, séduirait-il tant ?
    Cette repartie, lancée d'un ton de cordialité, engagea Bernard à croire qu'en effet il avait avancé d'un pas dans l'intimité du comte.
    Il se trompait gravement. La duplicité était aux yeux de Mortagne un des pires vices de l'âme. Quant aux traîtres, ils étaient impardonnables, même lorsqu'ils le servaient. Toutefois, en fin politique, il n'ignorait pas qu'un bon coquin grassement rémunéré est parfois plus utile qu'un fidèle

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