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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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d'Alexia de Nilanay. Bouche entrouverte de stupéfaction, ou peut-être de consternation, elle n'avait pas quitté son ancienne fille du regard. Le sang avait peu à peu fui son visage et de larges cernes gris-mauve s'étaient dessinés sous ses yeux. Lorsque Alexia se tut, après avoir répété qu'elles étaient coupées de tout, Plaisance demeura muette un instant. Elle luttait avec sa dernière énergie contre l'affolement. Les pensées les plus folles se bousculaient dans son esprit. Le visage ravagé de folie de madame de Balencourt, ses mots de délire s'imposèrent à sa mémoire.
    « Fuis cet endroit. Il vient, il est à nos portes. Je le sens. Il pue telle une charogne. Ne t'inquiète pas de moi, fuis. Il en est encore temps. Fuis, te dis-je ! Il va déferler sous peu. Rien ne l'arrêtera. »
    Plaisance s'accrocha à ses plus beaux souvenirs pour ne pas perdre tout à fait pied. Madame de Normilly, leurs jeux d'arceaux, leurs promenades dans les jardins au printemps. Le rire de gorge de la grande femme rassurante qui semblait à même d'affronter n'importe quelle adversité. Ce gentil sortilège qu'elle convoquait lors de ses moments de doute produisit son coutumier miracle. L'étau malsain qui lui broyait la poitrine au point de lui gêner le souffle se desserra un peu. La jeune abbesse inspira avec lenteur et déclara d'une voix étrangement distante :
    – Monsieur de Villanova me doit des éclaircissements.
    – Il est sorti au tôt matin, madame ma mère. À cheval, une grande imprudence étant entendu son âge et les intempéries.
    – Il a quitté l'abbaye ?
    – Si fait.
    Plaisance se laissa aller contre le dossier sculpté de sa haute chaire. Alexia se fit la réflexion que, ainsi, elle paraissait encore plus jeune. Si jeune. Un intense découragement l'envahit. Que pouvait faire cette très jeune fille contre le mal qu'elle ne devait avoir rencontré qu'à l'occasion de quelques péchés véniels ? Pourtant, lorsque la jeune abbesse se leva, se dirigea d'un pas ferme vers la porte de son bureau, madame de Nilanay eut la sensation de l'avoir à nouveau sous-estimée. D'une voix forte, Plaisance cria du haut de l'escalier qui menait au petit bureau de sa secrétaire :
    – Adèle, faites aussitôt quérir madame de Baskerville, ainsi qu'Hermione de Gonvray, je vous prie ! Prévenez ensuite les portières laïques. Je veux être informée du retour de monsieur de Villanova dans l'instant, quelle que soit l'heure !
    Installée dans le chauffoir de l'abbaye, où l'on remisait au soir les cornes à encre afin qu'elles ne gèlent pas, Rolande Bonnel, sœur dépositaire, recomptait pour la quatrième fois la même colonne semée de chiffres. D'une main mal assurée, elle plongea sa plume dans l'encre et biffa à nouveau le résultat. Rolande avait pour habitude de vérifier trois fois chaque calcul afin de s'assurer qu'elle n'avait commis aucune erreur. L'exaspération prenait le pas sur son incertitude, son angoisse. Un changement d'humeur bienvenu. Elle parvenait à des totaux différents à chaque nouvelle série d'additions et de soustractions. Elle pesta contre elle-même. Ce soir, l'arithmétique ne lui apportait aucun plaisir, aucun soulagement. Pourtant, comme elle aimait la grâce austère des chiffres, la tranquille autorité des nombres ! Rolande trouvait dans son interminable comptabilité les certitudes qui lui avaient toujours fait défaut. C'est si apaisant, une certitude, quand tout autour de vous vous a toujours paru mouvant, instable au point qu'il devient impossible de s'accrocher à quoi que ce soit. Oh, certes, Rolande savait qu'elle agaçait, qu'on la trouvait méticuleuse à l'ennui. Son insistance maladive sur d'infimes détails fatiguait l'abbesse. Toutefois, Plaisance de Champlois était l'une des rares à avoir compris qu'au-delà de la petite importance que lui conférait sa charge de dépositaire, Rolande trouvait dans ses interminables opérations un peu de la terre ferme qui la rassurait, l'assurait que le sol cesserait de se dérober sous ses pas.
    Elle se passa les mains sur le visage, s'exhortant à plus de patience, plus d'attention. Elle tenta de vider son esprit des horribles pensées qui le hantaient depuis si longtemps. En vain. Ce qui était fait ne pouvait être défait, et elle en porterait à jamais les odieux stigmates.
    – Ah, je vous trouve enfin, ma chère Rolande !
    La voix forte de Barbe Masurier la fit sursauter au point que la plume lui

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