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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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après coup, à la lumière des choses effrayantes que j'ai apprises au sujet de mon ancien fils.
    – Vous m'aideriez beaucoup en précisant votre pensée, l'encouragea monsieur de Villanova.
    – Sa bougonnerie semblait s'être, non pas atténuée… Je veux dire qu'elle était soudain moins convaincante. Je l'ai parfois surpris aux offices, un sourire errant sur ses lèvres, trahissant son absence ou le peu de conviction qu'il mettait dans sa prière. De quelle image user afin de traduire ma pensée au plus juste ? On eût cru un homme qui vient de recevoir une réjouissante nouvelle mais qui ne tient surtout pas à ce qu'elle s'ébruite et s'efforce donc de maintenir sa coutumière figure.
    – Je vois, déclara monsieur de Villanova en hochant la tête. Où se trouve aujourd'hui frère Henri ?
    – Le cœur me saigne à vous l'avouer. Dans l'un de nos cachots, en attendant que le chapitre décide de son sort. Il est évident qu'Henri relève d'un tribunal ecclésiastique, à plusieurs titres. Il s'agit d'un homme de robe et ses crimes procèdent de l'hérésie la plus grave.
    – En effet. Un tribunal inquisitoire me semble le plus à même de juger ses fautes. D'autant que… ce genre de procédure nous garantit une totale… discrétion. Il serait fort dommageable que la nouvelle d'une hérésie de moine se répande, ajouta le conseiller de Clément V. Avec votre permission, monsieur mon père, je souhaite… m'entretenir avec frère Henri, en tête à tête.
    Inquiet, l'abbé s'enquit en baissant la voix :
    – Ne redoutez-vous pas… enfin, les démons communiquent des pouvoirs surnaturels aux êtres qui leur cèdent… Henri, le véritable Henri, nous a quittés. Il pourrait se révéler dangereux…
    – Non pas. À moins que je me fourvoie gravement, je le crois tout à fait inoffensif, du moins pour moi. Il ne peut me séduire : la mort ne m'effraie pas, c'est une vieille compagne qui se fait de plus en plus présente au fil des années. Quant à d'éventuels pouvoirs, Henri n'a, de toute évidence, pas satisfait son maître. Ce dernier est implacable, impitoyable. Il a donc abandonné aussitôt votre ancien fils et n'en a cure. Voyez-vous, ma conviction est que le diable se montre exigeant, j'allais dire presque coquet au sujet des âmes qu'il récupère. Toutes ne lui sont pas bonnes à prendre. Seules lui sont véritablement précieuses celles qui tentaient Dieu. Et puis… qui dit que nous avons véritablement affaire au diable ?
    Un serviteur laïc, levant haut son flambeau, précéda monsieur de Villanova le long des marches de pierre qui descendaient vers les souterrains. Il balisa leur passage, allumant les torches de résineux fichées dans des anneaux scellés au mur, au fur et à mesure qu'ils les dépassaient. L'air était empuanti par une odeur âcre de moisi et les relents de détritus qui achevaient de se décomposer dans la rigole centrale qui menait vers un distant putel 3 . L'homme déverrouilla la lourde porte basse d'un cachot, se signa et s'effaça d'un mouvement nerveux pour laisser pénétrer le vieux médecin.
    – Je vous attends à quelques pas, messire, chuchota-t-il d'une voix apeurée en lui tendant son flambeau, peu désireux d'avancer dans l'obscurité malodorante de la geôle.
    La porte claqua, et monsieur de Villanova ne fut qu'à moitié surpris par la rapidité avec laquelle la clef tourna dans la serrure.
    Prenant garde de ne pas se redresser tout à fait de crainte de se cogner le crâne au plafond voûté, trop bas pour permettre à un homme de taille moyenne de se tenir debout, Arnoldus de Villanova tourna sur lui-même, découvrant ce lieu de solitude et de peine grâce à la haute flamme vacillante. Dans le coin le plus reculé, situé en diagonale de lui, il distingua une forme, assise droite sur une paillasse. Une torche était plantée de chaque côté de la porte. Il les alluma. En dépit de son peu d'appréhension, il décida pourtant de garder le flambeau en main.
    Immobile, frère Henri le détaillait avec une rare intensité.
    – Je me nomme Arnoldus de Villanova, commença le savant.
    – Le Catalan ! Fichtre. C'est que j'ai pris de l'importance, railla le moine. Un obscur copiste qui en vient à mériter la visite d'un illustre personnage. Quelle distinction, quel privilège !
    L'espace d'une seconde, monsieur de Villanova se demanda si la peur se cachait derrière cette ironie cinglante mais facile ou si, de fait, frère Henri avait

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