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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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ajouta Éloi pour ne rien perdre de son triomphe, on peut sortir et s'enfourner dans l'boyau qui mène à Claire. J'veux dire pour les grands qui passent pas par l'soupirail.
    – C'est comme ça que t'as meublé sa chambre ? J'me demandais comment qu't'avais pu faire passer ça par c'te fente, s'enquit Urdin d'un ton d'admiration qui récompensa le nain.
    – Tout juste ! Avec l'aide de ma Sido. Pauv'princesse. Fallait bien qu'elle vive dans d'belles choses. Elle le mérite amplement.
    – Ta main, ami, murmura Urdin en tendant une patte velue qu'Éloi serra avec jolie cérémonie. J'sais pas comment j'pourrais t'remercier un jour, vous tous d'ailleurs, mais j'trouverai. J'peux t'dire, mon gars, que t'en as bien plus dans la marmite que nous tous réunis !
    Les deux autres approuvèrent d'un signe de tête. Éloi tenta, sans grand succès, de dissimuler son extrême satisfaction. Passé ce fugace mais jubilatoire moment de gloire et parce qu'il était, justement, fort intelligent, il se souvint de ce que tous lui avaient apporté. L'humilité le rattrapa, la tristesse aussi :
    – Ben, j'dis pas que c'est pas vrai, rapport à la marmite. Toutefois, si j'avais pas dû m'occuper d'ma p'tite sœur, si elle m'avait pas pris dans ses bras pour me câliner alors que les autres me crachaient à la gueule, j'suis pas sûr que j'me serais pas pendu à une branche d'arbre. J'te dois la vie, ma Sidonie.
    Elle essuya les larmes qui dévalaient soudain de ses paupières et lui saisit la main pour la baiser en murmurant, affolée :
    – Mais t'es fou ! Meurs jamais, j'te l'interdis. Qu'est-ce que j'deviendrais sans toi ? J'me pends, moi aussi, ou j'me noie, si t'es plus là.
    – C'est c'que j'dis, ma jolie. Et toi, Urdin. J'suis fort mais pas rapide sur mes p'tites jambes. Et, si t'avais pas été là pour piéger le gibier, on s'rait tous crevés. Même si t'as surtout chassé pour Claire, tu nous as tous nourris, quand l'autre verrue de montreur nous filait que d'l'eau claire aux raves, en plein hiver. Et puis, il avait la trouille de toi. Alors, y nous cognait moins quand la r'cette était pas bonne. Et toi, Évrard. Mon gars, j'te dois mes seuls jolis rêves. Toutes les belles histoires que tu connais, que tu peux lire, peuplées de fées gentilles et d'princesse endormies. J'ai même rêvé une nuit que j'étais un beau prince, transformé en nain par une sorcière. Suffisait du baiser d'la princesse et j'redevenais moi-même. Pas d'chance, j'me suis réveillé avant.
    Un silence tissé d'amitié véritable, de chagrin, d'espoir aussi, s'abattit. Nul ne chercha à le rompre. Il s'agissait d'un beau silence. Un de ceux que l'on partage en moment rare et précieux parce qu'il lie plus sûrement qu'une déclaration.
    Ils étaient ensemble. Ils étaient moins vulnérables.
    Vêpres* battait son plein. Un froid hérissant semblait décidé à geler les voix qui s'unissaient en cantique. Élise de Menoult, sœur chambrière, réprima le fou rire qu'elle sentait monter dans sa gorge : Dieu devait se boucher les oreilles pour s'épargner leurs couacs et leurs couinements tremblotés. Il devait avoir à Sa disposition pléthore de chants angéliques d'une indicible beauté. Quelle punition pour Lui de S'infliger les disharmonies de Ses filles, certes pleines de bonne volonté et débordantes de foi, mais dont les fausses notes à répétition, aggravées par la froidure qui anesthésiait les gorges, pouvaient difficilement s'apparenter à un chant mélodieux, même avec la plus extrême indulgence. Elle s'admonesta pour ce qui n'était, à l'évidence, que des réflexions déplacées en un lieu saint et s'encouragea au sérieux.
    L'aménité, l'alacrité d'Élise étaient de notoriété commune et fort peu de choses paraissaient capables de les tarir. Élise avait choisi le couvent onze ans auparavant, alors qu'elle n'était âgée que de seize ans, afin d'échapper à une union décrétée par son père, union qu'elle n'avait pas eu la hardiesse 3 de refuser. Le gendre accepté par monsieur de Menoult, en dépit du nombre impressionnant de prétendants qui avaient requis la main de la ravissante Élise avant lui, avait quarante ans de plus qu'elle. Il souffrait d'une écœurante maladie d'épiderme qui lui cloquait la peau en pustules sèches, lui donnant l'aspect peu ragoûtant d'un vieux batracien. De surcroît, son souffle empestait à une demi-toise, au point qu'Élise tournait discrètement la tête dès qu'il

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