La croix de perdition
Évrard.
Éloi se rengorgea sous le compliment. Toutefois, il n'avait aucune intention de brader son succès et comptait en savourer chaque miette. Aussi expliqua-t-il d'un ton de conspirateur :
– Voilà comment qu'ça m'est venu. Donc, j'découvre le soupirail et la salle située derrière. J'me dis qu'y fallait être un rude crétin pour creuser et bâtir c'te pièce avec pour seul accès une fente par laquelle pouvait passer qu'un enfant ou un tout maigrelet. Et puis, j'cogite. Fallait bien que les maçons, les charpentiers descendent et qu'y z'amènent leurs blocs de pierre et leurs madriers. Y z'ont pas r'cruté une armée de nains bâtisseurs, quand même, que j'me dis ! Donc, y a forcément une autre issue, que j'en conclus, qu'a été condamnée plus tard.
Tous étaient suspendus à ses lèvres et Urdin serrait si fort ses mains l'une contre l'autre que Sidonie voyait ses articulations blanchir sous les longs poils. Rasséréné par l'admiration de son auditoire, Éloi poursuivit :
– Ben, j'ai fouiné et j'l'ai trouvée. Tout au fond de la salle. J'l'ai cachée derrière une tenture pour vous faire une surprise. C't une paroi pivotante en pierre, que rien distingue du mur, sauf les joints. J'en ai sué pour la faire basculer, vu qu'elle avait pas servi de longtemps.
– Et alors ? demanda Urdin d'une voix altérée.
– Alors mon gars, c't'un labyrinthe là-d'ssous. Tu peux t'y paumer sans difficulté. Un p'tit boyau part de la chambre de not'princesse et débouche dans l'avenue centrale des souterrains qui courent sous toute l'abbaye. Ça pue comme en enfer. Ça grouille de rats gros comme des lièvres. La merde de tout' nos bonnes sœurs, qui chient comme nous autres, tombe des canalisations des lieux d'aisance. Les eaux d'cuisine aussi. Ça fait courant et ça emmène toutes les déjections vers l'putel. J'suis arrivé jusqu'à la grille d'avant l'dit merderon. J'm'ai pensé en moi-même que l'ouverture qu'elle protégeait était assez grande pour permettre le passage des fameux charpentiers et maçons. Sauf que tu patauges dans la merde jusqu'au torse, vu qu'c'est assez pentu pour permettre un courant vers l'putel. Bon, pour vous jusqu'à mi-cuisses. Personne qu'aurait tout son sens accepterait d'progresser par là. D'autant qu'la grosse chaîne et les vertevelles 2 qui maintiennent le verrou sont vieilles comme la peau de mes fesses et qu'on les a pas changées, ni fait fonctionner d'y a bien longtemps. Fallait donc chercher ailleurs.
– Ça mon gars, des plus intelligents qu'toi, j'en connais pas beaucoup ! s'exclama sa sœur en ravissement.
– C'est vrai qu'suis pas nain de c'côté-là ! approuva Éloi sans une once de modestie. Ça, j'connais pas mal d'échassiers qu'en ont pas autant dans la marmite !
– Éloi ! le gronda à nouveau sa sœur. J't'ai déjà dit qu'on appelait « échassiers » que les sans-bonté. Y a des grands, pas beaucoup, qui nous veulent pas de mal. Y en a même qui sont bienveillants avec nous. Urdin, Évrard, Claire, l'abbesse et la bonne pitancière sont pas échassiers !
– T'as raison, frangine. Pas d'offense, vous autres, et mille excuses.
– De grâce, poursuis, Éloi. Nous savons bien que, pour vous, nous ne sommes pas de vilains échassiers, le rassura Évrard.
– J'suis donc rev'nu sur mes pas. Sainte mère de Dieu ! Ça puait à vous faire dégorger ! C'est là qu'j'ai trouvé une deuxième issue, fermée, elle aussi, d'une lourde grille. D'après mes estimations, elle conduit vers l'dortoir, ou du moins dans l'escalier qui y mène. Ça veut dire qu'y faut monter raide. J'vois pas des blocs de pierre et des madriers passer de cette sorte-là ! Ça tournait dans ma tête. Je m'suis dit comme ça qu'les moines redoutaient les attaques. C'est pour ça qu'y creusaient des souterrains qui pouvaient les conduire dehors si l'assaillant arrivait à pénétrer dans l'enceinte. J'ai encore cherché et j'ai trouvé la troisième issue. Elle passe sous la porterie des Fours. Elle débouche, en montée douce, à dix toises de l'enceinte !
– Comment cela ? interrogea Évrard qui ne feignait pas sa stupéfaction.
– Ouais, mon gars ! La sortie est planquée dans un monticule de caillasses recouvertes de fougère et de lierre. Rien d'autre. Tu rentres et tu r'sors à ta guise. J'me demande si quelqu'un ici connaît encore l'existence de c'passage. Du coup, puisqu'on a une clef de la porterie des Fours, celle que j'ai meulée,
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