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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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sur la neige et de se rompre un membre. Rien ne devait le retarder.
    Le moinillon le propulsa dans le bureau de l'abbé. Le père Jacques de Liège se tenait debout derrière sa table de travail, les mains croisées dans le dos, le regard perdu. À son visage de fin du monde, Arnoldus de Villanova sut, avant même qu'il ne prononce une parole.
    – Il est mort, n'est-ce pas ? demanda-t-il.
    Père Jacques acquiesça d'un signe de tête.
    – Un suicide ? Le remords ? Le déshonneur ?
    – Non pas, messire médecin. Un vil meurtre. Un meurtre affreux.
    – Démon ! cracha monsieur de Villanova entre ses dents. Comment n'ai-je pas perçu sa présence ? Comment a-t-il pu parvenir jusqu'à votre ancien fils ?
    – Je l'ignore, mais en tout cas de bien humaine façon. La porte du cachot était grande ouverte. Pourtant, les clefs n'ont pas quitté la ceinture de notre serviteur geôlier. J'en viens à redouter des complicités chez nous. Insupportable perspective.
    – Puis-je…
    – Je vous en conjure, nous avons besoin de vos lumières afin d'élucider ce mystère. J'ai ordonné que nul ne touche au corps avant votre passage.
    – Sage précaution.
    – Vous êtes certes médecin, toutefois, préparez-vous à un spectacle insoutenable. Je doute de m'en remettre jamais. Je… les mots me font défaut pour le décrire.
    Arnoldus de Villanova ne releva pas. Il avait vu tant d'horreurs dont ce pauvre moine n'avait pas la moindre notion. Lorsqu'il s'agissait d'infliger la peine et la souffrance, l'imagination des hommes était sans limites. Au lieu de cela, il conseilla :
    – Je vous recommande, monsieur mon père, d'envoyer quelques serviteurs laïcs armés de torches à l'extérieur. Qu'ils longent le mur d'enceinte à la recherche de traces de pas ou de sabots. Ainsi apprendrons-nous peut-être leur nombre, et surtout s'ils sont bien repartis.
    Le jeune moinillon qui avait escorté Arnoldus de Villanova pila à une demi-toise de la porte béante du cachot, secouant la tête avec vigueur en signe de refus, tendant sa torche au savant. Monsieur de Villanova avança. Ce qu'il découvrit le stupéfia. Il s'était attendu à tout autre chose. Henri avait été éventré selon une ligne qui partait du haut de la gorge pour se terminer sous le nombril. Les intestins s'étaient répandus sur le gros ventre flasque, se crevant en se vidant partiellement de leur contenu. L'odeur répugnante des excréments se mêlait à celle du sang. Le savant s'approcha du cadavre. Les bras de l'enlumineur étaient levés au-dessus de sa tête. Deux doigts de la main gauche avaient été tranchés. À en juger par l'hémorragie profuse qui avait endeuillé la terre battue du cachot, l'ablation avait été pratiquée du vivant du copiste. Ce fut surtout l'abject raffinement du meurtrier qui ébranla monsieur de Villanova. Il avait planté le crucifix de bois de frère Henri dans sa bouche, dressé à la manière d'une croix signalant une tombe. Ce détail destiné à dégrader renseigna mieux le scientifique qu'une déclaration. Henri avait été éventré à la manière d'un vulgaire lièvre. Monsieur de Villanova jeta un regard aux viscères malodorants répandus sur l'abdomen gras et pâle. Les autres victimes de son insaisissable ennemi avaient toutes péri de la même façon : égorgées d'un ample et précis mouvement de lame. Sans hargne, sans passion, mais sans mépris. De plates exécutions. Traînait encore dans cette geôle le fantôme d'une rage vengeresse. Arnaud Amalric s'était vengé de la trahison de frère Henri en l'humiliant jusque dans le trépas. Monsieur de Villanova organisa les idées éparses qui tournoyaient dans son esprit. Une prière de reconnaissance lui monta aux lèvres.
    – Merci mon Dieu. Il n'est pas le diable. Pas encore ! Seuls les humains se vengent. Le diable punit. Donnez-moi la force d'empêcher à jamais sa métamorphose en démon.
    Ainsi que l'avait souligné le père Jacques, le tueur était entré de bien humaine façon dans le cachot. S'agissait-il d'Arnaud Amalric ou d'un sbire ? Le médecin l'ignorait encore. Quoi qu'il en fût, il avait, de toute évidence, amputé frère Henri de deux doigts afin de lui faire avouer quelque chose, l'endroit où se cachait ce qu'Arnaud Amalric cherchait désespérément depuis des lustres : la croix de Béziers. Il l'avait ensuite achevé pour mener sa vengeance à son terme et l'empêcher de révéler la cachette à d'autres. Les pouvoirs

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