Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
grande, élancée, ravissante. Urdin l'aimait en camarade, avec tendresse. Mais voilà : il ne l'aimait pas vraiment. Le cœur d'Urdin était tout entier empli d'une livide enfante qui ne tolérait pas la lumière du jour, aussi ténue soit-elle. Sidonie n'ignorait pas qu'il ne s'agissait pas d'un amour d'homme, mais d'un immense amour de père. Claire allait mourir. Tous le savaient. Urdin refusait de l'admettre et se battrait jusqu'à son dernier souffle afin de l'éviter. Cette inévitable issue brisait le cœur de Sidonie. Urdin y survivrait-il ? En aurait-il seulement envie ? Elle n'en était pas certaine. Il avait tant souhaité que sa vie entière tourne autour de Claire, tant œuvré pour cela. Sidonie en comprenait fort bien la raison : rien d'autre n'existait autour de quoi elle aurait pu tourner.
    Son frère se leva, l'arrachant à ses sombres pensées. Éloi jeta sur ses épaules la courte cape en peau de bique qu'il s'était confectionnée, alluma une esconce à la cheminée et lança :
    – Ça va. L'gars a pris assez d'avance. J'lui emboîte le pas. Faut pas qu'y découvre que j'le veille comme un enfançon. Y serait vexé.
    L'allégresse, la force revenaient à Urdin au fur et à mesure qu'il s'enfonçait dans les souterrains puants. Il pouffa. Dieu du ciel, il en était venu à tant dépendre de cette enfante que la tête lui tournait. Il n'y avait pas de vie sans elle. C'était une belle consolation, puisqu'il n'y avait pas eu de vie avant elle. Elle ne mourrait pas. L'homme en noir avait donné sa parole et Urdin veillerait à ce qu'il la tienne. Après tout, il avait torturé à ses ordres. Il tuerait cette Anne, sans hésitation, dès qu'il mettrait la main sur elle. Il repousserait la mort loin de Claire avec l'aide du cavalier noir. Cette putride catin de mort avait refusé de prendre Urdin lorsqu'il avait été abandonné à crever dans la forêt. Pourquoi s'acharnerait-elle maintenant sur ce qui le tenait en vie ?
    L'homme-loup dénoua le lien qui fermait le col de son chainse. Claire aimait enfouir son visage dans son long pelage soyeux. Elle s'amusait à enrouler les poils en mèches autour de son index. Il inspira longuement tant son cœur s'emballait, avant de faire pivoter le mur de pierres qui lui barrait encore la route.
    Dehors, Éloi avait recouvert son esconce par prudence. Les doigts pincés sous ses aisselles afin de les réchauffer, il patientait en silence, adossé à un arbre, non loin du monticule de cailloux qui dissimulait l'entrée extérieure des souterrains de l'abbaye. La persistante tristesse, contre laquelle il parvenait à lutter durant le jour, profitait de la nuit glaciale et solitaire pour le reprendre d'assaut. Il les aimait bien, Urdin et Évrard. Quant à Sidonie, il l'adorait. Claire ? Elle était autre. Au fond, Claire était une mission, un but. Les hommes ne vivent pas sans but. Ils se contentent de survivre.
    En dépit de sa brutalité de paroles, de son goût pour les plaisanteries grasses, la finesse de son esprit n'épargnait pas Éloi. Il jouait avec talent au mariolle et au hâbleur. Il cabotinait avec génie pour leur amusement à tous, par respect pour eux. Les quatre autres n'avaient nul besoin de sa souffrance et de son accablement, de sa rage intermittente non plus. Ils supportaient déjà les leurs.
    Un écho, non loin. Éloi se redressa et passa derrière le tronc. Deux lueurs d'esconces dansaient dans l'obscurité à hauteur d'homme. De femme, ainsi qu'il le découvrit bien vite. La silhouette maigre de la vilaine fouine se dessina avec netteté. Éloi se demanda si elle avait suivi Urdin ou lui avant de songer que la réponse n'avait aucune importance : le mal était fait. Dès que la laide Ferrand aurait une certitude concernant leur escapade, elle préviendrait l'abbesse et ils seraient jetés dehors. Claire. Mon Dieu, Claire ! Claire que la pénombre de la pièce dérobée protégeait, qui ne supporterait pas le jour, même cloîtrée dans un fourgon bâché. Claire qui s'étiolerait à nouveau, qui mourrait sans un gémissement pour ne pas les attrister davantage.
    Éloi crispa les mâchoires, se creusant la tête dans l'espoir que surgisse une solution. Le manège de la portière l'intrigua bien vite. Éclairée par les deux lampes à huile, Agnès Ferrand tournait autour de la motte de pierres recouverte de lierre. Sans doute Urdin, dans sa hâte à rejoindre Claire et assuré de la complicité de cette nuit de neige,

Weitere Kostenlose Bücher