La dame de Montsalvy
était inutile, qu'il y avait mieux à faire ailleurs et surtout beaucoup plus d'or à gagner.
Catherine fronça les sourcils.
— Comment savez-vous cela, vous ?
— Vous voulez dire, moi un simple traîne-savate, hein ? Je comprends que ça peut vous paraître bizarre mais, je vous l'ai dit, j'étais de garde... et j'ai toujours été d'un naturel curieux. Seulement, moi, je ne suis pas un pauvre saint homme de moine à l'âme pure et naïve comme celle d'un petit enfant. Non seulement j'ai l'oreille fine mais je sais écouter sans avoir l'air de rien... et surtout sans me faire prendre !
— Je comprends. Alors vous savez où il y a mieux à faire et plus d'or à gagner ?
— Je sais ! A Dijon !
— À Dijon ? s'écria Catherine abasourdie. C'est impossible à moins que le Damoiseau ne soit fou. Il n'a qu'une poignée d'hommes en comparaison des troupes qui gardent la ville, que le Duc y soit ou pas !
— Oh ! C'est pas d'un siège qu'il est question, bien sûr...
— De quoi alors ?
— D'un prisonnier... d'un prisonnier important que le duc Philippe garde dans une tour de son propre palais. D'un prisonnier qui vaut beaucoup d'or... beaucoup trop même d'après les envoyés de Bourbon
! Paraîtrait qu'on discute ferme de sa rançon pour le moment, que le duc Philippe serait tout prêt à le relâcher mais contre une si grosse somme qu'il y aurait de quoi mettre à genoux les finances du Roi et de quelques autres. Je dois vous dire qu'à moi, tout ça m'a paru un peu obscur. Je ne fréquente pas beaucoup les grands personnages.
Catherine et Gauthier se regardèrent. Pour eux, les paroles du Boiteux n'avaient rien d'obscur. Le prisonnier de Philippe c'était le jeune roi René, duc d'Anjou, le fils de Yolande, capturé par les Bourguignons à la bataille de Bulgnéville et tenu depuis en étroite prison dans la tour Neuve ', au palais de Dijon. René pour lequel Catherine avait reçu, à Saumur, une lettre que les événements des derniers mois ne lui avaient pas permis de remettre et que, d'ailleurs, perdue au fond de son chagrin, elle avait totalement oubliée...
Doucement, Gauthier qui lisait à livre ouvert sur le visage de la jeune femme, murmura :
— Vous avez toutes les excuses, dame Catherine ! N'importe qui en aurait fait autant à votre place : il vous a été impossible de continuer votre route...
Mais elle refusa la facile absolution.
— Non. J'avais une mission, j'aurais dû la remplir... et...
I. Le Roi étant aussi duc de Bar, la tour porte, depuis sa captivité, le nom de tour de Bar.
Elle s'arrêta. Ce n'était ni l'heure ni le lieu de discuter de ses états d'âme, en face d'un soudard blessé qui, visiblement, cherchait à comprendre. Elle revint à lui :
— C'est donc à cause de ce prisonnier que le Damoiseau est parti.
Que doit-il donc faire ? L'enlever ?... C'est impossible. Il doit être bien gardé.
Le Boiteux chercha son souffle. Il avait du mal à respirer et souffrait visiblement. Un instant, il demeura étendu, les yeux clos et devint si pâle que Catherine, croyant qu'il était en train de mourir, se pencha sur lui.
— Vous vous sentez plus mal ?...
Au bout d'un moment, il ouvrit les yeux, sourit faiblement.
— Je m' sens pas au mieux mais il faut que je finisse... Le Damoiseau doit protéger les deux hommes... et eux doivent s'arranger pour que... le prisonnier ne quitte jamais sa prison, plus jamais. Vous comprenez ?...
— C'est limpide ! fit Gauthier. Plus de prisonnier, plus de rançon...
— Et comme le duc de Bourbon doit marier sa fille au fils du prisonnier, il n'a aucune envie que la fortune passe toute entière dans les mains du duc Philippe ni qu'on lui réclame une dot trop importante pour boucher les trous. En outre, la haine qui oppose Bourbon à Bourgogne n'est un secret pour personne. Que René meure dans sa prison et la guerre se rallume..., acheva Catherine. Eh bien, je crois que notre devoir est tout tracé.
Elle remercia le Boiteux, l'assura qu'il n'avait plus à craindre la corde, désormais, et qu'elle le prenait sous sa protection.
— Essayez de guérir. Ensuite, vous serez libre...
Mais il la rappela comme elle allait quitter la chambre.
-— Si vous êtes contente de moi, dame, faites mieux encore. Prenez-moi à votre service. Sur la mémoire de ma pauvre mère, je vous serai fidèle. Et puis, quand vous aurez retrouvé le capitaine la F... je veux dire votre époux, je vous servirai tous les deux !
Elle lui sourit, émue de
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