La dame de Montsalvy
aussi disparate, d'autant que Bérenger ne ressemblait pas plus à sa mère qu'à feu Ausbert.
En l'honneur de la visiteuse, Renaud et Amaury avaient visiblement fait toilette. Leurs cheveux taillés à l'aide d'une écuelle formaient une curieuse auréole autour de leurs visages identiques, tannés et recuits par tous les vents, tous les soleils de la montagne cependant que sur leurs joues, des coupures fraîches proclamaient qu'on leur avait raclé scrupuleusement la barbe. Ils se ressemblaient tellement qu'ils avaient eu recours à leur système pileux pour se différencier et si Renaud était totalement imberbe, Amaury arborait une moustache floconneuse digne de Vercingétorix.
Cérémonieusement, Renaud alla prendre Catherine par la main quand elle apparut au seuil de la salle pour la mener à sa place à table.
Il était à présent le maître du domaine et ladite place était à la droite de son fauteuil seigneurial. Dame Mathilde s'installa à sa gauche et les autres convives qui étaient Josse Rallard, Gauthier, le chapelain du château, Bérenger et Marie Rallard et les principaux officiers du domaine, s'installèrent un peu au petit bonheur. Puis, le chapelain ayant invoqué la bienveillance du Seigneur, on attaqua le souper en gens qui ont fait autre chose de leur journée que rêvasser assis sous un arbre.
Ce fut seulement après avoir fait disparaître une paire de poulets, la moitié d'un sanglier et la valeur d'un seau de soupe aux châtaignes que Renaud de Roquemaurel, se décidant à ouvrir la bouche pour autre chose que pour y engouffrer de la nourriture, apprit à Catherine les dispositions que son arrivée lui avait inspirées.
— J'ai envoyé dans tous les châteaux d'alentour aviser de votre arrivée, dame Catherine, et dire que dimanche prochain nous tiendrons ici un conseil de tous ceux à qui la bonne santé physique et morale de Montsalvy importe autant que la leur. Ce qui se passe là-haut prouve surabondamment que le seigneur Arnaud est tombé présentement sous l'emprise du démon. Il convient de l'en débarrasser au plus tôt car lorsque les choses vont mal chez vous, elles ne peuvent pas aller tout à fait bien chez les autres. Notre fidèle ami Gontran de Fabrefort sera ici dès demain avec ses gens de Labesserette. Mais nous avons prié aussi Archambaud de La Roque, de Sénézergues, en lui demandant d'envoyer message à son père, Jean de La Roque, bailli des Montagnes d'Auvergne, afin qu'il donne au moins sa caution. J'ai envoyé aussi à Leucamp prévenir Guillaume de Sermur, à Cours, chez Jean de Méallet, à Ladinhac chez Messire Hughes. J'ai même dépêché messager à La Salle mais je doute que cette vieille garde de Cibille s'intéresse à vos ennuis. C'est une Vieillevie et encore qu'on la dise brouillée avec sa parenté chacun sait ici ce que vaut cette maison-là..., ajouta-t-il en laissant planer sur l'assemblée un regard qui la prenait à témoin de ses paroles.
Nul n'ignorait en effet qu'une haine solide opposait, depuis des temps immémoriaux, les Roquemaurel à leurs cousins de Vieillevie et il fallait que l'affaire fût grave pour que Renaud ait consenti à adresser un mot d'écrit à une femme affligée d'un nom aussi exécré.
Jugeant qu'il avait assez parlé, Renaud tendit sa coupe à son écuyer pour qu'il la remplît à ras bord et la vida d'un trait. Cependant, Catherine qui n'avait pas écouté sans surprise ce bel exposé cessa de jouer avec la boulette de pain qu'elle roulait entre ses doigts et relevant son regard pensif sur son hôte :
— Est-ce donc une armée que vous souhaitez lever, ami Renaud ?
— Une armée, nous ne le pourrions pas. Mais quelques bonnes troupes tout de même et quelques compagnons aguerris qui sauront vous entourer pour que vous puissiez faire entendre raison à votre époux...
— C'est ce que vous pensez, vous qui êtes mon ami, mais croyez-vous que ceux d'alentour jugeront de même ? Mon époux est maître et seigneur de son fief, le plus grand de la région. Il peut y faire ce qu'il veut... Croyez-vous donc que nos voisins vont s'émouvoir parce que le seigneur de Montsalvy refuse de recevoir sa femme légitime et préfère vivre avec une gourgandine ? Cela m'étonnerait beaucoup.
Vous n'y êtes pas, Catherine, coupa dame Mathilde. Ce rassemblement nous l'aurions fait depuis longtemps si l'abbé Bernard avait été là mais au nom de qui cette levée de boucliers alors que l'autre co- seigneur gît sur son lit
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