La dame de Montsalvy
à des lieues de là et que vous étiez plus loin encore ? Au nom de votre fils, bien sûr. Mais dévoiler sa présence ici c'était prendre un trop grand risque...
Catherine hocha la tête.
— L'abbé Bernard prendra la tête d'une coalition contre Montsalvy
? Je n'y crois pas. Admettez qu'avec tous vos amis nous allions mettre le siège là-haut - et c'est, vous en conviendrez la seule manière d'atteindre Arnaud et la bande qu'il a ramenée avec lui - que croyez-vous qui se passera ? Mon époux mettra sa ville en défense, lancera aux murailles les hommes valides, et même les femmes, et il faudra bien qu'ils lui obéissent, même si c'est à contrecœur, s'ils ne veulent pas encourir sa colère qui me paraît devenue singulièrement redoutable. Cela fera des morts innocents dans le peuple... et cela je n'en veux à aucun prix. Mieux vaut perdre à jamais mon nom et mon rang si je dois l'acheter au prix du sang d'un seul des gens de Montsalvy !
— Cela vous fait honneur, dame Catherine, coupa Josse qui n'avait pas encore ouvert la bouche, et cela ne m'étonne pas de vous mais le siège, si siège il y avait, ne durerait guère. Il se trouverait bien vite quelqu'un pour ouvrir l'une des portes, Saturnin Garrouste, par exemple, ou Gauberte. Vos gens vous aiment de tout leur cœur parce que vous avez toujours été proche d'eux, que vous avez vécu avec eux, souffert avec eux et que pour les sauver vous avez pris les plus grands risques. Ils ne peuvent en dire autant de messire Arnaud. Certes, ils admirent sa valeur, ses hauts faits... mais, vous en conviendrez, depuis qu'il est maître et seigneur de Montsalvy on ne l'y a pas tellement vu...
Gauthier, qui était son voisin, regarda avec sympathie ce compatriote rencontré si extraordinairement au fond de l'Auvergne 1 et qui tenait un langage selon son cœur.
— On dirait que vous ne portez pas le seigneur Arnaud dans votre cœur ? murmura-t-il tout en versant à Josse une bonne rasade de clairet. J'avoue que cela me ferait plutôt plaisir...
— Pourquoi ? Vous ne l'aimez pas ?
— Je ne l'ai guère rencontré mais quand cela a été, les circonstances n'étaient pas de celles qui forcent la sympathie. Et ce que j'ai pu voir ici en arrivant me conduit même à penser que c'est non seulement une brute mais un fieffé imbécile...
Josse considéra l'écuyer de Catherine avec ce curieux sourire en demi-lune, à lèvres closes, qui conférait à son visage brun, strié de petites rides courtes malgré son jeune âge, une sorte de charme ironi-que.
— Ouais ! Je crois que je peux vous comprendre étant donné ce que vous en savez. Pourtant, je dois vous mettre en garde contre un jugement un peu hâtif. Le diable, voyez-vous, c'est que, quand on connaît dame Catherine, on se trouve instantanément enclin à considérer son maître et seigneur d'un œil antipathique. Un œil qui le serait peut-être moins si elle avait moins de charme et de beauté.
Néanmoins, je peux vous dire deux choses : Arnaud de Montsalvy est l'un des hommes les plus vaillants que je connaisse et l'amour qu'il porte à sa femme n'a fait jamais pour moi le moindre doute.
— Allons donc !...
— Mais si. Je dirai même qu'il l'aime trop et que cet amour empoisonne sa vie parce qu'il l'oblige à ne pas penser qu'à lui seul, à sa vie d'homme de guerre, aux grandes actions héroïques, à toute cette existence fracassante qui est celle des seigneurs de notre siècle sans pitié.
1 Voir Catherine et le temps d'aimer.
Sa Catherine, il la porte plantée en lui, au plus profond de sa chair comme un carreau d'arbalète aux barbes trop larges. Jamais il ne pourra l'arracher et il le sait. Alors tous les prétextes lui sont bons pour le lui faire payer.
— C'est effrayant ! Il est peut-être capable de la tuer en ce cas !
— Peut-être mais je n'y crois pas. Il sait bien qu'ensuite il ne connaîtrait plus un instant de repos. Une fois déjà il a essayé, à ce que Sara m'a raconté. Il a failli devenir fou. Je crois que, ce qu'il faut, c'est les remettre face à face. Voilà pourquoi je pense que pour l'obliger à la regarder au fond des yeux, même le siège de Montsalvy ne serait pas de trop...
Tandis que les deux hommes causaient en aparté, la discussion était devenue générale. Chacun donnait son opinion en s'efforçant de crier plus fort que son voisin. Seule Catherine, silencieuse, paraissait se désintéresser du débat.
Tout cela lui paraissait inutile, oiseux, encore
Weitere Kostenlose Bücher