La dame de Montsalvy
voir, sous la livrée des ducs de Bourgogne, versant du vin dans la coupe d'un roi captif.
Elle regarda avec horreur le rubis liquide qu'elle tenait dans sa main et auquel ni elle ni Roussay n'avaient encore touché, attendant que René bût le premier. Puis, son regard retourna vers le Roi.
Souriant et les yeux mi-clos, il levait le gobelet vers ses lèvres, prêt à savourer. Le bord d'étain allait toucher sa bouche. Alors, avec un cri Catherine s'élança, rejetant violemment la coupe qui roula à terre, non sans éclabousser les vêtements du royal prisonnier.
L'homme qui vient de sortir... cria-t-elle d'une voix rauque. Arrêtez-le
! Faites-le chercher et ramener ici !...
— Etes-vous folle ? articula le Roi qui regardait avec stupeur la rigole rouge coulant vers la cheminée où le chien s'était réveillé au bruit de l'étain roulant sur les dalles .
— Je vous supplie de me pardonner, Sire, mais ce vin... je suis à peu près certaine qu'il cache un danger.
— Un danger ? En dehors de celui de l'ivresse, je ne vois pas bien lequel !
— Madame de Montsalvy voit du poison et des empoisonneurs partout ! expliqua Roussay avec un sourire gêné qui déchaîna la colère de Catherine.
— Qu'attendez-vous pour faire ce que je vous ai dit ? Courez, par Notre-Dame ! L'homme qui vient de sortir d'ici est l'un de ceux du Damoiseau ! J'en suis sûre ! je l'ai reconnu ! » Puis, saisie d'une inspiration soudaine, elle prit le gobelet demeuré intact sur le plateau et le tendit au capitaine : « Si vous ne me croyez pas, goûtez donc de ce vin, mon ami ! Après tout, c'est votre vin !
Il prit la coupe, la flaira.... puis la reposa et, sans un mot, quitta la pièce, appelant à sa suite les hommes de garde. Catherine et le Roi demeurèrent face à face.
D'un geste machinal, René avait pris une serviette sur le coffre et s'en essuyait le visage et les mains sans regarder la jeune femme qu'il semblait avoir complètement oubliée. Le front barré d'un gros pli, il réfléchissait visiblement.
— Vous avez dit le Damoiseau ? fit-il au bout d'un moment. Qui entendez-vous par là ? Pas celui de Commercy, tout de même ?
— Si, Monseigneur. Robert de Sarrebruck, pour être plus précise.
— C'est impossible ! Il est tenu captif à Bar, chez moi, pour ses incessantes révoltes de mauvais vassal et les grands maux qu'il fait subir à mes Lorrains.
S'il y était captif, il n'y est plus, Sire, croyez- moi car il n'y a pas si longtemps que j'ai eu affaire à lui dans des circonstances que je ne suis pas près d'oublier. Il s'est échappé, Sire, ou bien on l'a relâché...
— C'est impossible ! La reine Isabelle, ma bonne épouse, n'aurait pas fait ce pas de clerc. En outre, nous tenions aussi son fils en otage et...
— Je n'ai pas vu d'enfants avec lui et je serais surprise qu'il s'en fût encombré plus que de scrupules. Je gagerais facilement qu'il a pris la fuite sans se soucier de l'enfant, comptant cyniquement sur la bonté bien connue de Votre Majesté pour ne pas le faire pâtir de son évasion. Tout dernièrement encore, il assiégeait Châteauvillain, d'où je viens, et s'y comportait selon sa vraie nature : celle d'un routier, d'un écorcheur et d'un bandit. En outre, j'ai les meilleures raisons de croire qu'il est à présent à Dijon... fort occupé à comploter la mort de son seigneur sur laquelle il compte peut-être pour libérer son fils. Et, pour ma part...
Un gémissement lui coupa la parole. C'était le chien qui l'avait poussé. D'un même mouvement Catherine et René se tournèrent vers la cheminée. L'animal, couché dans la rigole de vin qui tachait de rouge sa fourrure claire, bavait, les yeux déjà révulsés, battant l'air de ses pattes. Avec un cri, le Roi se jeta à genoux près de lui, tâtant avec précaution le corps tétanisé.
— Ravaud !... Mon chien ! Mon bon Ravaud !... Qu'est-ce que tu as ?...
— Il a dû lécher un peu de ce vin maudit, Sire, murmura Catherine. J'ai peur de n'avoir eu que trop raison. Il est empoisonné...
— Mon Dieu !... Du lait ! Qu'on m'apporte du lait ! Courez, madame ! Allez dire qu'on m'apporte du lait sur l'heure !
La jeune femme hocha la tête sans bouger.
— C'est inutile, Sire ! Voyez... c'est déjà fini !
En effet, après un dernier spasme et un cri plaintif le corps du chien venait de s'immobiliser entre les bras de son maître. Il était mort.
Catherine frissonna, le dos parcouru par un désagréable filet de sueur
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