La dame de Montsalvy
la flamme.
Au-dehors, c'était le calme d'une nuit d'automne déjà froide, humide en tout cas, et cela se sentait dans la tour. Aussi Catherine bénissait-elle la précaution qui lui avait fait prendre des vêtements chauds et un manteau de cheval épais.
Se procurer lesdits vêtements masculins ne lui avait pas été difficile : elle s'était contentée de se rendre, flanquée de Bérenger, chez un tailleur et de rhabiller l'adolescent de façon convenable. Il commençait d'ailleurs à en avoir besoin et, comme il avait beaucoup grandi, sa taille et celle de sa maîtresse étaient voisines.
— De toute façon, il vous fallait des habits pour cet hiver, répondit-elle à ses protestations ravies. Choisissez donc en conséquence... mais tâchez de choisir des teintes discrètes ! ajouta-t-elle prudemment car elle connaissait le goût prononcé du jeune garçon pour les mélanges de couleurs hardies.
Le résultat s'était révélé satisfaisant. Bérenger s'était laissé séduire par un justaucorps et des chausses vert printemps sans aucune adjonction de jaune ou de rouge. C'était la couleur même de la garde ducale et cela allait aussi bien à la blondeur dorée de Catherine qu'à ses propres cheveux couleur de châtaigne mûre. Un manteau de cheval noir et un chaperon vert complétaient l'ensemble et, ainsi déguisée, Catherine n'avait eu aucune peine à se faire passer pour le jeune Alain de Maillet, cousin poitevin du capitaine bourguignon.
À l'exception du double bruit de pas, la tour était silencieuse comme une tombe et ce silence ajoutait à l'angoisse, encore imprécise, que Catherine avait emportée en quittant l'hôtel Morel-Sauvegrain, due au fait que Gauthier n'avait pas reparu.
Bérenger avait attendu vainement son retour tout l'après-midi et, s'il avait suivi avec plaisir Catherine chez le tailleur, il n'en avait pas moins repris sa faction mais avec un énervement grandissant.
— Mais où est-il ? Où a-t-il pu aller ? répétait-il continuellement.
Sa maîtresse s'était efforcée de le calmer en affichant une tranquillité qu'elle était bien loin d'éprouver. Elle eût donné cher pour être capable de répondre aux questions du page car elle connaissait suffisamment les bas-fonds de Dijon pour savoir qu'un homme pouvait y disparaître, en plein jour et sans laisser de traces, aussi aisément que dans les cours des Miracles parisiennes. Et c'était l'esprit soucieux qu'elle était partie pour la tour Neuve. La nuit qui commençait risquait d'être longue si, à son retour, elle ne trouvait pas Gauthier rentré au bercail car il faudrait bien, alors, se lancer à sa recherche.
On avait atteint le palier. Le soldat qui guidait le faux Alain de Maillet venait de s'arrêter devant une porte armée de rames de fer et d'énormes verrous près de laquelle veillaient deux hommes assis sur des escabeaux, leurs vouges étincelantes appuyées contre la muraille.
Il jeta un mot à travers le guichet grillé qui ajourait la porte et celle-ci s'ouvrit presque instantanément, découvrant l'intérieur d'une pièce d'assez belles dimensions mais dont les fenêtres à meneaux étaient grillées de barreaux si épais et si rapprochés qu'ils ne devaient guère laisser passer de lumière.
L'ameublement en était succinct : un lit simple tendu de serge grise, une large table flanquée de deux bancs et un grand coffre sans ornements. Ni tapis ni tentures. Le seul luxe relatif tenait dans l'étroite cheminée en entonnoir où brûlaient quelques bûches et dans l'échiquier posé sur la table entre les deux personnages assis sur les bancs. Un chien à longs poils dormait, roulé en boule devant la cheminée.
La voix vigoureuse de Roussay accueillit Catherine.
— Quelle surprise, mon cousin ! Quand on m'a fait savoir votre venue, je n'en croyais pas mes oreilles ! Vous, si loin de votre cher Poitou ?
En même temps, il s'était levé et accolait l'arrivant avec de grandes tapes dans le dos qui le firent tousser.
— C'est que j'avais à vous entretenir d'affaires importantes pour notre parentèle, mon cousin et je n'ai que peu de temps... répondit Catherine en se félicitant de ce que le Ciel lui eût accordé un timbre chaud et légèrement voilé plutôt qu'une claire voix typiquement féminine.
Tout en parlant elle ne pouvait détacher son regard de l'autre personnage, resté assis à la table et apparemment plongé dans les combinaisons savantes du jeu d'échecs.
Elle savait son âge,
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