La danse du loup
haubert rouillaient à vue d’œil. Il est vrai qu’il n’était pas de la première jeunesse et un peu juste pour moi. Plusieurs anciens écuyers, mes prédécesseurs, l’avaient déjà porté.
Quelle idée aussi d’être parti à la chasse en cotte de mailles. En ces temps, les Anglais étaient plus souvent chez eux, de l’autre côté de la Manche, que chez nous sur cette rive de la Dourdonne : point de chevauchées ennemies, point besoin d’armure !
J’avais tout de même pris la précaution de rembourrer l’intérieur de mes heuses de chasse par de la paille fraîche. Elles aussi, elles devaient dater de l’époque de Robert Courteheuse, deuxième du nom et fils de Guillaume le Conquérant, qui devait sûrement les avoir chaussées lors du pèlerinage de la Croix.
Peine perdue, le froid mordait mes doigts de pied, et mes mains engourdies gelaient sous le cuir craquelé de mes gants. Le vieux casque normand à nasal, tout bosselé, dont je m’étais coiffé était d’usage, il y a plus de deux cents ans. Bien que rembourré de cuir à l’intérieur, il laissait pénétrer l’air glacé qui me piquait les oreilles. Le nasal, mal réglé, m’écrasait le nez qui coulait.
Encore plus bêtement, j’avais préféré ceindre mon épée longue à une main et demie plutôt que mon épée d’estoc, plus légère. Elle me battait le flanc, inutilement ; la sangle à laquelle était fixé le fourreau, de plus en plus pesant, m’entamait les chairs.
Les mailles du haubert gravaient dans ma peau, à travers le gambeson, le sceau du maître haubergier qui l’avait forgé en des temps immémoriaux. Mais en ces temps-là, les sceaux étaient rares. Je ne porterai donc vraisemblablement pas les stigmates d’anneaux de fer chauffés à blanc par le froid.
L’humidité, puis le givre avaient durci les rênes. Elles me filaient entre les mains chaque fois que ma jument arrachait voracement quelques branches ou quelques orties sur notre passage. Elle raffolait des orties.
La semelle de mes bottes de chasse glissait sur mes étriers. Je déchaussai. Une des étrivières manifestait d’ailleurs une usure inquiétante due au frottement de quelques mailles de mes jambières dont les anneaux s’étaient partiellement désassemblés.
Je n’avais pas pris la peine de vérifier l’état de la sellerie avant mon départ pour la chasse. À mon retour, si je réussissais à revenir de cette expédition misérable et à regagner la forteresse de Beynac, je passerais un savon qui n’aurait rien de mol, au palefrenier qui avait sellé mon cheval et au maître haubergier qui avait entretenu nos hauberts. Avant que le baron ne me le passât, à moi.
Incapable de retrouver mon chemin dans l’obscurité naissante avec, de surcroît, une visibilité qui se réduisait à présent à une cinquantaine de coudées, il était temps de trouver un refuge pour la nuit, une masure, une écurie, une étable ou une bergerie, une caverne à défaut. Je jetai un regard alentour. Aucun feu, aucune lueur, aucune trace de vie, aucun espoir de présence amie.
J’avisai un pech, à la recherche d’une grotte pour y trouver refuge. Il y en avait de nombreuses dans la région où nos ancêtres des temps très anciens s’abritaient et se protégeaient des bêtes et de gens de mauvais aloi. Naturellement, je n’en aperçus aucune.
J’avais, en outre, une envie d’oriner qui me prenait à la gorge, mais si je descendais de cheval, je craignais de ne pas avoir le courage de me remettre en selle. Ah ! Il était fier, Bertrand Brachet, le premier écuyer du baron de Beynac !
Je mis ma jument au trot, histoire de nous réchauffer un peu, en longeant les rochers où j’espérais découvrir un abri, préparer un feu, lui donner une ration d’avoine que j’avais heureusement pris la précaution d’emporter dans un bissac.
Il me sembla cependant, dans cette combe où les arbres se confondaient avec les pechs et les pechs avec le ciel, reconnaître la vallée de la Beune que commandait la place forte de Commarque. Peut-être n’était-ce qu’une illusion ? Celle d’un décor féerique et blanc où la mort se teintait de givre.
À présent, quelques flocons de neige tombaient. Il neigeait rarement sous nos contrées. Ce soir, il neigeait bien sûr, histoire de pimenter ma retraite. Et je n’avais pas de compain pour déclencher une bataille de boules avec la neige. Ma jument ne savait pas y jouer non plus. Je ne le
Weitere Kostenlose Bücher