La danse du loup
lui avais pas encore appris. Je tâcherais de m’en souvenir, lors des prochaines séances de dressage si Dieu m’offrait une seconde vie. Après tout, il n’y avait pas que le poteau de quintaine pour s’entraîner.
L’idée saugrenue de construire un bonhomme en neige me traversa l’esprit. Je l’abandonnai aussitôt : j’aurais dû me déshabiller pour le revêtir de ma peau de renard. Il aurait pourtant eu une certaine gueule avec un lapin sur les épaules, négligemment jeté autour du cou sur une peau de renard d’une couleur fauve.
Du plus bel effet, auraient dit les gentes courtisanes à la cour du roi de France. Mais de cour, il n’y en avait pas, pas plus que de basse-cour. Point d’âme qui vive.
J’aperçus enfin, à dix pas, l’entrée d’une cavité dont l’accès me parut suffisamment haut et large pour nous permettre d’y pénétrer et de nous y abriter pour la nuit, ma jument et moi.
Je m’en approchai et descendis de cheval tout en prenant le soin de l’attacher à la branche d’un arbre. La branche se brisa avant même que je n’eusse eu le temps d’y lier les rênes.
J’en choisis une autre, plus robuste, à portée de main. Précaution probablement inutile : ma jument ne manifestait, hélas, aucune intention de rejoindre l’écurie.
Mais si l’envie lui en avait pris, je n’aurais pas été dans le crottin. Pour une telle faute, ce n’aurait pas été un savon mol que m’aurait passé mon maître. J’aurais eu droit à une belle claque et à dix jours de cachot au moins. Il ne badinait pas avec les hommes, encore moins avec les chevaux. Lorsqu’ils rentraient avant leurs cavaliers.
Évidemment pour pisser un coup, je dus enlever mon mantel grossièrement cousu de plusieurs peaux de renard, tenter de relever ma chainse de mailles au-dessus de la taille comme une vilaine qui s’accroupit, enlever mes gants et, en me contorsionnant, délacer les attaches en cuir qui fermaient dans mon dos, à hauteur de la ceinture, les jambières de mon haubert tout de mailles givrées.
Elles ne comportaient curieusement pas d’ouverture par-devant, rien que pour m’embufer. Presque nu, mais toujours coiffé du casque à nasal et du gorgerin de mailles, après avoir dénoué les aiguillettes de mes braies, je grelottai et les claques que je m’administrai sur les épaules et sur les côtes ne me réchauffèrent pas.
Mes lourdes jambières en maille en profitèrent sournoisement pour glisser sur mes talons. Il faudrait que j’en touchasse encore un mot au maître haubergier. Il aurait dû prévoir une coquille à certain endroit judicieusement sélectionné.
Le jet chaud et puissant que j’expulsai avec un soupir de soulagement fumait agréablement dans l’air ambiant. Sans me réchauffer pour autant. Un peu plus et il aurait gelé en touchant le sol, formant un arc de glace qui serait remonté jusqu’à l’orifice de mon extrémité la plus intime, me piquant la gargouillette mieux qu’un carreau d’arbalète tiré à douze coudées. Il gelait à pierre fendre.
À cet instant, la cotte de mailles que j’étais parvenu non sans mal à relever sur ma poitrine, glissa pour reprendre une position plus naturelle. Un peu plus et je me pissais dessus. Le désastre avait été évité de justesse.
Mon esprit soulagé – je l’avais décidément placé bien bas ce soir-, je relevai mes jambières et me contorsionnai à nouveau pour en renouer les aiguillettes dans le dos. J’administrai à ma jume nt quelques claques sur l’encolure en évitant toutefois la croupe (elle avait de mauvaises dispositions à cet endroit, sauf pour les étalons) et la dirigeai par la bride vers l’entrée de la grotte.
Elle refusa naturellement d’entrer dans notre abri d’infortune. Elle devait le trouver glauque. Elle n’avait pas tort, mais nous n’avions pas le choix. C’était ça ou crever sur place.
Je sentis la colère monter en moi. Mais la colère est mauvaise conseillère. Je n’insistai pas. Je saisis le bissac d’avoine que j’entrouvris tout en jetant à ma jument un coup d’œil appuyé. Elle hennit et m’aurait suivi dès lors incontinent au bout du monde. Élémentaire, mais efficace. Toujours contourner l’obstacle dans ces cas-là, m’avait appris mon maître. En la matière, c’était quelqu’un : il savait de quoi il parlait, le premier valet d’écurie.
Je dessellai ma jument, relâchai le harnais, sortis le mors de sa bouche sans défaire ni la
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