La danse du loup
glaciale de l’Épiphanie. Dans un coffre, quelques anciens traités des chiffres et des manières secrètes d’écrire jonchaient le sol après avoir été consultés.
Vêpres venaient de sonner au clocher octogonal de la chapelle dont les angles coïncidaient avec l’axe de la nef et du transept. Pour appeler à la prière les quelques moines qui survivaient encore dans ce pays meurtri par la guerre.
Sur le document, un récit étrange prenait vie. Il surgissait, tel Jonas recraché par la baleine. Un récit incroyable que son auteur avait cru bon de masquer sous un système complexe qui exigeait de se reporter à des chiffres et à des lettres. Un système qui s’inspirait de la méthode de chiffrement utilisée par Jules César pour acheminer ses messages diplomatiques ou militaires les plus confidentiels. Pour que personne ne puisse en prendre connaissance. Sauf un initié au plus haut degré.
La main qui tenait la plume, ce soir-là, était élue. Après avoir été sur le point d’abandonner à plusieurs reprises, elle était enfin parvenue, après neuf jours de recherches approfondies, à découvrir les clefs de cette mécanique complexe pour traduire le document en langage clair. Un texte surprenant prenait vie sous sa plume.
En ces temps-là, dans les sombres forêts qui s’étendaient tout alentour en contrebas de l’abbaye, un loup entendit hurler à la mort. Il leva sa gueule, d’abord vers l’abbaye, puis plus loin vers le nord. Une brume épaisse le cernait de toutes parts. Le jour se levait. Sans pénétrer pour autant la trame noire et inexorable qui tissait son destin.
Non loin de là, la mort hurlait. Comme une louve à l’agonie. Sa voix plaintive déchirait l’air, se propageait de branche en branche, toujours plus lugubre, plus implorante. De plus en plus faible, de plus en plus rauque. Le déchirant appel de la mère à son enfant, au seuil de la mort. Depuis que les mâchoires d’acier s étaient refermées sur l’une de ses pattes. La douleur était terrible. Ses chairs meurtries. Ses os, brisés. En partie. En partie seulement.
Devait-elle au prix de souffrances insurmontables tenter de s’arracher de ce piège diabolique ? Après une vie passée à dévorer brebis égarées, à saigner coqs, poulets et lapins de garenne, à se rouler dans le sang et à se complaire dans la fange la plus fétide, dans quelle chair pourrait-elle désormais planter ses crocs ? Affamée, famélique, claudiquant sur trois pattes, ne risquait-elle pas de devenir une proie facile pour d’autres prédateur plus agiles, à l’affût de la moindre faiblesse ?
Tête relevée, les oreilles dressées, les pavillons aux aguets, la truffe frémissante, le loup s’immobilisa. Une patte en arrêt, les autres posées sur un tapis de feuilles mortes, il tentait de situer par le bruit et l’odeur, l’endroit où gisait sa mère.
Ne risquait-il pas lui-même de choir dans quelque piège tendu par l’homme ? Que pourrait-il faire alors pour la sauver ? La survie de sa génitrice justifiait-elle pareille tentative ? Aussi folle ? Aussi risquée ? À quoi bon d’ailleurs ? Si des mâchoires s étaient refermées sur elle, il serait impuissant à la délivrer.
Non, il n’irait pas lui porter secours ! Sa vie en dépendait. Il était encore jeune ! Pourquoi se sacrifier pour un animal à l’agonie ? Sa mère n’avait-elle pas prouvé, sa vie durant, que seul le plaisir de dominer sa meute l’avait entraîné lui-même, au gré de ses fantaisies, dans de folles et insensées expéditions ?
N’avait-il pas risqué sa vie dans le passé, à moult occasions, pour assouvir la soif de jouissance, de vengeance, de luxure et de fornication de la belle louve ? Ne l’avait-il pas déjà protégée de bien des embûches ? Sauvée un beau jour d’une mort horrible ?
Non. Cette fois, c’en était trop ! Il resterait indifférent à sa supplique. Il l’abandonnerait à son sort. D’ailleurs, la plainte se faisait de plus en plus lointaine, de plus en plus sporadique. La fin était proche, se dit-il. La délivrance aussi.
Le jeune loup pivota avec élégance sur lui-même et s’éloigna au pas, tête baissée, le cœur gros. Pour regagner sa tanière. Ses beaux yeux clairs, ses beaux yeux cruels et féroces étaient fendus comme deux amandes.
Il ne savait pas qu’un autre loup le guettait à une lieue de là. Peut-être
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