La dottoressa
et chercher régulièrement le lait ; et
un jour où nous nous promenions ainsi – la petite était aussi avec nous –
je suis tombée d’un rocher et je me suis fait des contusions internes, quelque
chose à la colonne vertébrale, ça reste toujours visible aux rayons X. Ah !
ça en a représenté des promenades, et des phrases, et du D’Annunzio ! Et pendant
tout ce temps, Gigi, lui, peignait son saint Nicolas et tombait amoureux de son
côté d’une Fräulein, une Allemande, une certaine Katessky.
Il ne savait encore rien de Tutino, alors ; il était
seulement au courant de mes promenades, et peut-être se disait-il :
« Ça y est, la voilà repartie dans les bois, comme avec son Russe, son
Wolkow. » Mais un certain soir où il ne m’avait pas trouvée à la maison, il
m’a attendue et proprement rossée, et le pire c’est qu’une fois, sur la
terrasse, il m’a lancé des couteaux, tellement qu’on a dû appeler à l’aide les
voisins. Il avait dû mettre des choses bout à bout dans sa tête : pourquoi
donc tenais-je tant à aller dans cette vallée d’Ajenzo qui n’était pas tout
près, et tous les après-midi par-dessus le marché ? Seulement lui, ça ne
le gênait pas de s’en permettre autant. Que voulez-vous, c’était un peintre et
les peintres sont ainsi !…
On me demandera comment on peut faire l’amour en plein air
en promenant deux enfants. Pourquoi non ? Ludovico courait jusqu’à la
plage ou jusqu’à la cascade – il y en a une très jolie – et quant à
la petite elle marchait à peine et elle restait bien au calme dans son landau.
Ce jour où Gigi m’a battue, j’ai eu au fond de moi le
sentiment que, tout compte fait, je ne l’avais pas volé. D’un autre côté j’aurais
bien aimé savoir si Gigi se tenait tellement bien que ça, pour sa part. Après
tout, il y avait cette histoire entre lui et la jeune Allemande ; il n’avait
rien d’un modèle de vie conjugale. Nous étions dans notre tort l’un comme l’autre,
mais je vous prie de me dire qu’est-ce qui peut justifier une fidélité à sens
unique, avec l’horrible jalousie maladive que ça comporte ?
Maman était restée à Vienne, où elle avait son appartement
dans lequel le gouvernement voulait mettre des étrangers. C’était l’époque où
aucun appartement n’avait le droit de demeurer vide ; tout le monde était
régenté et personne n’était autorisé à garder la moindre pièce inoccupée. Donc,
Maman avait dû installer des locataires dans l’appartement d’Ober Saint-Veit, ce
qui la rendait très malheureuse. Sur quoi elle écrivit à son gendre, Gigi, qu’elle
attendait absolument sa visite à Vienne. Tout ça à cause de ces gens – il
y avait je ne sais quelle histoire de paiement, un ennui légal ou autre, et
comme toutes les vieilles dames elle appelait son gendre au secours contre ses
locataires. Bref, Gigi est parti en me laissant seule à Positano avec les deux
enfants. Et Tutino a dû reprendre du service ; on le rappelait comme
officier de marine, il n’était là qu’en permission, et il lui fallait rejoindre
un navire à Brindisi. Il a déclaré que je devais le suivre. J’ai conduit les
enfants chez la nourrice de Capri, celle qui avait nourri un temps Giulietta, et
je suis partie avec lui pour Brindisi.
J’ai fermé l’appartement, puisque les enfants étaient chez
la nourrice, et me voilà donc à Brindisi, jusqu’à ce qu’au bout de quelques
semaines je n’aie plus pu me supporter sans les enfants, et un soir j’ai pris
le rapide pour Salerne et continué de là sur Capri et Positano, puis ramené les
petits à Brindisi. Je me souviens très bien qu’il n’y avait pas de place pour
eux, de sorte qu’ils étaient sur quatre matelas plus un fauteuil dans la salle
à manger. Oui, c’est ainsi que je les ai accommodés, de façon plutôt primitive.
Là-dessus Tutino est envoyé de Brindisi à Tarente, et moi de suivre aussi avec
les enfants ; et après, de Tarente on l’a basé à Naples. Là, bien sûr, comme
nous voulions rester ensemble, nous avons loué une chambre pour moi et les
enfants sur la Mergellina, donnant en plein sur la mer, pendant que, lui, il
restait dans sa marine, à Naples.
Ludovico a choisi ce moment pour devenir vraiment méchant. Pas
par jalousie pour Tutino, non ; ils s’entendaient très bien tous les deux.
C’est avec sa sœur seulement que le petit se chamaillait : il lui faisait
mal. Ils n’étaient
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