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La dottoressa

La dottoressa

Titel: La dottoressa Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Graham Greene
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typhoïde, à en
croire mon infirmière ; mais la petite criait et pleurait sans arrêt ;
alors, pour elle, nous avons engagé une nourrice, Annunciatina, une paysanne
qui avait elle-même un enfant encore au sein. Ça n’empêchait pas Giulietta de
pleurer beaucoup la nuit, ce qui mettait Gigi en colère, et je me rappelle l’ahurissement
de la sœur, oui, je la vois encore à travers ma fièvre, courant furieusement
derrière Gigi : « Monsieur, monsieur Moor, que faites-vous là ? »
parce que, incapable de supporter une minute de plus les cris de la petite, il
l’avait mise dans le jardin, et la religieuse lui courait derrière…
    Pendant trois semaines je suis restée entre la vie et la
mort. Chez les gens d’à côté il y eut deux décès, et au moins une dizaine dans
tout Anacapri. Ça n’avait rien de spécialement gai. Et ça a évolué comme suit :
au bout de trois semaines j’allais mieux, alors ç’a été à Gigi d’attraper la
typhoïde ! Seulement, pour lui ce fut bénin.
    Après, nous avons déménagé pour nous installer Villa Boffe –
une très jolie petite maison avec vue sur la mer et une magnifique terrasse –
ce qui nous a permis de changer un petit peu d’air. Puis, retour à Positano. Il
n’y avait sûrement que nous pour voyager dans des conditions d’expédition
pareilles. La mer était très grosse, surtout si on pense à Ludovico et à la
petite. Et nous traînions une espèce de forno di campagna, de petit
réchaud de cuisine, et le pot de chambre, et le tout est tombé à l’eau. Il n’y
avait pas de quai, le bateau dut attendre devant le port et la tramontana soufflait, et quand il a fallu débarquer, le pot de chambre et le reste, tout
est tombé à l’eau, mais on a pu repêcher le pot juste avant qu’il coule. C’est
dans cet état que nous sommes arrivés à Positano. Nous nous sommes installés
dans une autre maison, anciennement occupée par la poste, et les amis et
connaissances sont venus, y compris don Domenico, sauf que lui, il est arrivé
tout de suite.
UN OFFICIER DE MARINE
NOMMÉ TUTINO
    Alors que je vivais à Positano avec mon mari et mes deux
enfants, je fis la connaissance – et là on en arrive à l’histoire qui a
vraiment compté – la connaissance, donc, d’un officier mécanicien de la
marine, un certain Beniamino Tutino, qui habitait avec sa mère et ses sœurs une
villa leur appartenant, à Positano aussi.
    J’ai fini par le connaître à l’occasion de mes allées et
venues avec le landau de la petite – dans sa voiture, je la roulais
toujours jusqu’à la vallée d’Ajenzo, et c’est comme ça que j’ai rencontré ce
Tutino. Il se promenait régulièrement par là, un roman de D’Annunzio à la main,
chaque fois, et quand je le croisais il m’emboîtait le pas et poussait la
voiture. Il était parfait pour ce qui était de pousser le landau, et tout de
suite il s’est mis à me lire du D’Annunzio. Le manège se répétait tous les
après-midi, puisque vers ces heures-là mon mari s’en allait peindre. C’était en
premier lieu la raison de notre venue à Positano : à cause de la
municipalité, ou plus exactement d’une famille rentrée d’Amérique, qui lui
avait passé commande d’une peinture sur toile destinée à un autel dans l’église,
une des chapelles latérales, dédiée à saint Nicolas. Il est toujours là, dans
la grande église de Positano, ce tableau, tout de suite à gauche de l’allée
centrale. Je ne suis plus tout à fait sûre, mais je crois bien que c’est saint
Nicolas délivrant un enfant enfermé dans une barrique à vin (non, non, rien à
voir avec la Ligue antialcoolique).
    Voilà donc le tableau qu’il était en train de peindre, et ça
l’occupait tout le jour comme j’ai dit, pendant que moi, l’après-midi, je me
promenais dans la vallée d’Ajenzo avec les enfants et Tutino. C’est ainsi que
finit par naître une amitié entre nous. Le soir venu, nous allions chercher le
lait chez une paysanne du coin. La colline où elle avait sa maison s’appelait
Minchia Pendente. Ce qui est vraiment une grossièreté, car ça signifie « la
queue qui pend », mais nous ne l’avons su que plus tard, quand mon pauvre
petit Ludovico se servait aussi de ces gros mots qu’il entendait autour de lui,
comme strunzo (merde, autrement dit) ; il a fallu beaucoup de temps
pour le convaincre que ce n’était pas convenable. Bref, toujours est-il que
nous allions promener avec le landau

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