La Fausta
Fausta ne le connaissait pas. En revanche, elle connaissait Pardaillan. Et Fausta, après avoir pressuré pour ainsi dire les idées que lui suggérait la lettre pour en extraire la quintessence, Fausta, après de longs et terribles pourparlers avec elle-même, venait de découvrir dans son âme un sentiment qui n’y était pas encore.
Elle haïssait Violetta !… Depuis quand ?… Depuis la lecture de la lettre !… Elle eut beau se dire qu’elle haïssait déjà Violetta avant, que la petite chanteuse était un obstacle sérieux à ses projets sur Guise, et qu’en elle, c’était l’obstacle qu’elle détestait !… Non !… Habituée à lire en soi-même, Fausta, rugissante de honte et d’impuissance, dut s’avouer la vérité : elle n’avait jamais haï Violetta. Elle ne l’avait jamais considérée que comme une pauvre petite fille que le hasard mettait en travers de la route fulgurante qu’elle parcourait et qu’il fallait froidement supprimer…
Elle haïssait maintenant Violetta d’une haine atroce ; toutes les laves torréfiées qui avaient brûlé le sang de son aïeule Lucrèce brûlaient son sang à elle… maintenant, oui, maintenant qu’elle savait ceci : Pardaillan recherchait Violetta !…
Une hypothèse d’elle-même avait surgi et l’éclairait d’une tragique lueur qu’elle n’avait jamais connue, puisque jamais elle n’avait aimé. Cette hypothèse, la voici : Pardaillan aimait Violetta !…
Et cette lumière effrayante qui inondait l’âme de Fausta, c’était la torche de la jalousie qui la produisait !… Jalouse !… Fausta jalouse !
Oh ! lorsqu’elle avait à demi révélé son cœur à Claudine de Beauvilliers, lorsque, si superbe et si sûre d’elle-même, elle avait dit qu’elle n’aimerait jamais, elle ne se doutait pas que sitôt elle connaîtrait l’amour et la haine !…
Fausta venait de passer la nuit la plus effroyable et la journée la plus affreuse de sa vie. Que faire ? que résoudre ? que décider ?… Elle ne savait pas quoi ! Sûrement, elle allait tenter quelque chose, pourtant, car à tout hasard, elle s’était vêtue en cavalier.
Qu’allait-elle faire ?… Les décisions, lentement, s’étaient agglomérées dans son esprit, en cette journée où elle avait vécu d’inoubliables heures de lutte et de détresse. Vers midi elle avait expédié un émissaire à Claudine pour lui annoncer sa prochaine visite et elle disait à l’abbesse :
— Vous me répondez sur votre vie de la prisonnière jusqu’à ma visite.
Vers quatre heures, elle avait écrit au duc de Guise pour lui dénoncer la présence de Pardaillan à Paris. Pendant deux heures, elle avait hésité à désigner l’auberge de la
Devinière
… elle s’était accordé jusqu’au lendemain. Pourquoi ?… Qu’espérait-elle ?…
Vers six heures, elle avait reçu comme tous les jours les nombreux agents secrets qui la tenaient au courant de tout ce qui se faisait et se disait dans Paris, chez Guise et autour de Guise.
Il était environ neuf heures du soir lorsque nous la retrouvons accoudée à une table et relisant encore la lettre de Claudine, y cherchant la résolution suprême. A ce moment, Fausta semblait très calme. C’est que peut-être la résolution s’était formulée dans son esprit. En effet, elle se leva, brûla la lettre à un flambeau de cire rose, passa des gants de peau souple, s’assura que son épée était en bonne place à son côté, puis, ayant frappé sur un timbre, elle ordonna sans même se retourner, car elle était sûre que quelqu’un était accouru pour recueillir l’ordre :
— Quatre cavaliers d’escorte et un cheval pour moi, à l’instant. Et qu’on aille prévenir Bussi-Leclerc, gouverneur de la Bastille, que je l’irai voir cette nuit même.
Sans doute chevaux, litière, voiture, escorte tout était toujours prêt nuit et jour. Car Fausta, sans attendre après avoir jeté cet ordre, se dirigea vers la porte de sortie. Moins de deux minutes plus tard, elle se trouvait dans la rue où les quatre cavaliers attendaient, et où un écuyer lui présentait l’étrier… Une fois qu’elle fut en selle, les cavaliers se placèrent deux en avant, deux derrière elle.
— A l’abbaye de Montmartre ! dit alors Fausta.
La petite troupe se mit aussitôt en marche, sortit de la Cité, et se dirigea vers la porte Montmartre. La porte était fermée. Sur l’ordre du duc de Guise, nul n’avait permission de
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