La Fausta
quitter…
— Monseigneur, bégaya Maurevert livide, soyez sûr…
— Tu ne me quitteras plus : tu logeras ici ; et en route vers Chartres, je veux t’avoir toujours près de moi… si tu veux que cette tête que je viens de toucher continue à rester sur tes épaules…
Maurevert s’inclina en murmurant une assurance de parfaite obéissance. Mais en lui-même il songea :
« Dès que le damné Pardaillan aura été questionné, je pars !… justement parce que je tiens à ma tête !… »
Et tout haut, il reprit :
— Monseigneur, c’est ce matin que nous devons nous rendre à la Bastille… Vous savez ce que vous avez bien voulu me promettre…
— Oui, oui, fit le duc calmé par l’attitude servile de Maurevert, tu es un bon serviteur, et sois sûr que je n’oublierai jamais rien… même la capitainerie des gardes qui t’a été promise !
Maurevert tressaillit.
— Seulement, continua le duc, songe à la gagner en prouvant ton dévouement à celui qui pourra te conférer le grade que tu ambitionnes. Quant à ce que tu me dis de la Bastille, tu as raison : tu assisteras au supplice de ton ennemi.
— En ce cas, monseigneur, il est temps ! fit avidement Maurevert. Le tourmenteur a été mandé pour sept heures, et…
— Allons, s’écria Guise en riant, hâtons-nous de satisfaire l’appétit de notre ami… sans quoi, il va se jeter sur nous pour nous dévorer. A la Bastille ! Viens-tu, Maineville ?…
— Ma foi, monseigneur, j’avoue que j’en veux fort au Pardaillan, dit Maineville ; mais c’est un brave, après tout, et il me répugne de voir mourir les gens qui ne se peuvent défendre l’épée à la main…
— Oh ! moi, fit Maurevert, la chose m’intéresse, au contraire !
Et il se hâta de se diriger vers la porte, comme pour inviter Guise à partir aussitôt. A ce moment, une rumeur éclata dans l’antichambre ; et cette porte, malgré les règles d’étiquette plus sévères à l’hôtel de Guise qu’au Louvre, s’ouvrit. Un homme apparut et entra d’un bond. Cet homme, c’était Bussi-Leclerc !…
— Eh bien ! gronda le duc, qu’est-ce à dire ?
— Monseigneur ! ah ! monseigneur ! frappez-moi ! battez moi ! tuez-moi !… Je suis fou ! je suis un misérable !…
Et Bussi-Leclerc tomba à genoux, devant Guise et Maineville stupéfaits. Quant à Maurevert, il s’était reculé de trois pas, livide, secoué jusqu’au fond de l’être par une terrible intuition. Bussi-Leclerc tremblait. Il offrait aux regards un visage décomposé, il claquait des dents : il paraissait réellement en proie à quelque étrange délire.
— Relevez-vous, Leclerc, dit le duc de Guise, et expliquez-vous, ou, par Notre-Dame, je croirai vraiment que vous êtes frappé de folie.
— Que ne suis-je fou ! en effet, râla Bussi-Leclerc. Que ne suis-je mort ! Tout vaudrait mieux pour moi que l’infortune qui m’accable !… Monseigneur… la Bastille…
— Eh bien ?… la Bastille !… Parlez donc, par tous les diables !…
— Pardaillan !… L’infernal Pardaillan !…
— Pardaillan ! rugit Guise en assénant un coup de poing sur une table.
— Evadé ! fit Bussi-Leclerc dans un souffle.
On entendit une imprécation, un cri déchirant… Et on vit Maurevert qui s’abattait comme une masse… Mais personne ne fit attention à lui.
— Malédiction ! gronda Henri de Guise, blanc de fureur.
— Malédiction ! répéta sourdement Maineville atterré.
— Oui, oh ! oui, malédiction ! balbutia Bussi-Leclerc toujours à genoux.
Alors, après cette seconde où la stupeur l’avait pétrifié, une effroyable crise se déchaîna dans l’âme de Guise. Maineville qui connaissait ces terribles accès, Maineville en voyant le visage du duc blêmir et se marbrer de taches bleuâtres, ses yeux s’ensanglanter et tout son corps secoué d’un frisson, Maineville recula en tremblant, et, s’étant heurté à Maurevert évanoui, demeura immobile en songeant :
« Bussi-Leclerc est mort ! »
Bussi-Leclerc les connaissait aussi, ces accès de fureur de son maître. Il se releva vivement, et, devant ce qu’il prévoyait, recouvra son sang-froid.
Guise le regarda un instant, d’un œil hébété, cherchant peut-être ce qu’il allait faire. Et alors sa main se leva, avec cette lenteur de l’insulte préméditée. Bussi-Leclerc vit le geste. Livide, prompt comme l’éclair, il saisit un poignard qui traînait sur la table, le tendit au
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