La Fausta
pourtant cela est !… Cela est à tel point que, sûrement, le Pardaillan doit avoir fait un pacte avec son patron Satan !
Alors, il raconta comme quoi il avait longtemps crié, hurlé, tempêté, défoncé presque la porte du cachot à force de frapper du poing et du pied ; comme quoi, à la longue, son cachot avait été ouvert par un sergent et des gardes fous de terreur ; comme quoi, étant remonté en toute hâte, un indicible spectacle s’était offert à ses yeux ; du sang partout, des morts et des blessés dans toutes les cours ; toutes les portes ouvertes ; le pont-levis baissé… comme quoi, enfin, ayant interrogé les survivants, il avait appris l’effroyable catastrophe : les batailles dans les ténèbres, les mêlées à croire que Pardaillan commandait une armée, si bien qu’on avait cru à la présence de cette armée et que le roi était dans Paris, et enfin la fuite de tous les prisonniers de la Bastille délivrés par le démon Pardaillan !…
Au récit de ces fabuleux événements, récit maintes fois coupé par les exclamations de Guise et de Maineville, récit écouté par Maurevert seul, silencieux, avec des frissons de terreur, ils crurent entendre la narration de quelque bataille des anciennes légendes. Dans leur imagination, Pardaillan prit des proportions démesurées.
Guise assura sa lourde épée et regarda la porte comme s’il se fût attendu à voir paraître Pardaillan. Maineville constata qu’il avait sa bonne cotte de mailles sous son pourpoint de velours.
— C’est bien, dit Guise, je vais faire contre cet homme ce qu’on peut faire contre un redoutable truand.
Et il se mit à écrire fiévreusement un ordre.
— Bussi, dit Maineville tout pâle, je crois que tu as raison, et que ce misérable a dû faire un pacte avec Satan…
— A moins qu’il ne soit Satan en personne, dit Bussi-Leclerc qui n’était pas éloigné d’admettre cette explication, tant il lui paraissait invraisemblable que Pardaillan eût pu le désarmer.
Quant à Maurevert, il n’avait pas dit un mot. Il songeait. Et sa songerie était affreuse…
— Voilà ! dit le duc en achevant d’écrire et en signant. Que cet ordre soit crié à l’instant. Car si le truand a ouvert la porte des vingt-six prisonniers de la Bastille, ce ne peut être que pour entreprendre d’en former une bande à la disposition de Valois !… Chalabre, Sainte-Maline et Montsery étaient parmi les prisonniers…
En effet, jamais il ne fût venu à la pensée de Guise, ni d’aucun homme raisonnable, que Pardaillan, dans la terrible situation où il se trouvait, eût perdu son temps à ouvrir la porte des prisonniers de la Bastille, uniquement pour le plaisir d’ouvrir des portes.
— Bussi, reprit le duc de Guise, je te pardonne…
— Ah ! monseigneur ! balbutia Leclerc qui s’inclina sur la main du duc, et la baisa.
— Qu’il ne soit plus question de cette monstrueuse affaire, sinon pour nous défendre. Maurevert, Maineville, Bussi, tous les trois vous êtes unis à moi désormais par autre chose de plus fort que l’amitié, le dévouement et l’ambition…
— Par quoi donc, monseigneur ? haleta Maurevert qui, pour la première fois depuis le commencement du récit, prit la parole.
— Par la peur ! reprit le duc de Guise. Nous sommes tous les quatre hantés par cette pensée que le Pardaillan doit nous tuer tous…
Ils frissonnèrent. Car telle était bien leur pensée !…
— Eh bien, à dater de ce jour, unissons nos forces, nos intelligences, nos courages. Nous sommes des voyageurs égarés dans une forêt où il y a un sanglier furieux. Tenons-nous bien. Ne nous séparons pas. Marchons ensemble à la bête ! Car tant que la bête vivra, messieurs, je ne donnerai pas une obole de votre peau, ni de la mienne !…
Et effarés, pâles, faibles comme devant la menace d’une puissance inconnue, Maurevert, Bussi et Maineville, sur l’ordre de Guise, commencèrent par faire le tour de l’hôtel pour doubler chaque poste d’armes !…
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Chapitre 50 L’AUBERGE DU PRESSOIR DE FER
Q ue faisait pendant ce temps celui qui était cause de ces terreurs, cause aussi des événements qui allaient se précipiter — uniquement parce qu’il avait eu l’idée de visiter la Bastille ? Pardaillan, nous gémissons de l’avouer, Pardaillan mangeait un pâté d’anguilles à l’auberge du
Pressoir de fer
. Occupation, certes, qui n’avait rien d’héroïque.
Nous avons vu que
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