La Fausta
munitions nécessaires. Alors, parmi les malédictions des blessés, les rauques appels des mourants, les jurons, il y eut dans cette cour une deuxième bataille… mêlée affreuse, d’autant plus terrible que les torches avaient été jetées ; les gardes se servant de leurs arquebuses comme de massues, s’entrechoquant, s’assommant les uns les autres.
Et dans ce groupe informe, délirant, Pardaillan, sa dague au poing, se lançait tête baissée, frappait à droite, frappait à gauche, passait, coupait, faisait une horrible trouée. Deux ou trois minutes s’écoulèrent ; la cour était pleine de sang… les gardes affolés, pris d’une terreur insensée, se sauvaient, se heurtaient à d’autres qui accouraient… et hors de la Bastille, le quartier réveillé se demandait ce que signifiait cette clameur… Dans la Bastille, une cloche se mit à sonner à toute volée… le poste de la porte d’entrée réduit à vingt hommes se barricadait, perçait des meurtrières pour une suprême défense… Toutes les imaginations qu’inspire l’épouvante traversaient ces esprits, et la plus raisonnable était que les troupes d’Henri III, entrées soudain dans Paris, avaient pénétré dans la Bastille par quelque poterne mal gardée… et là-bas, dans la cour, Pardaillan achevait la déroute des gardes… les prisonniers se répandaient dans les couloirs en poussant des hurlements féroces…
Ce fut une vision d’enfer, une indescriptible ruée à travers les couloirs et les cours de la Bastille. Dans la grande cour, une trentaine de cadavres gisaient sur les pavés, et parmi eux, celui du vieillard en guenilles, du vieillard anonyme qui entrait dans la liberté par la porte de la mort.
Pardaillan, Charles d’Angoulême, Montsery, Sainte-Maline et Chalabre, en quelques secondes, tinrent conseil. A eux cinq, ils marchèrent sur la porte d’entrée. De-ci de-là éclataient encore des coups d’arquebuse ; de loin en loin, des groupes de gardes passaient affolés, tirant les uns sur les autres ; quelques-uns jetaient leurs armes et criaient :
— Grâce ! Mort à Guise ! Vive le roi !
Pardaillan arriva devant la porte de l’entrée. Là, une vingtaine de gardes s’étaient barricadés. Pardaillan, d’un coup de coude, fit sauter le vitrail de la fenêtre ; sa tête sanglante, hérissée, terrible, apparut aux assiégés, et il hurla :
— Au nom du roi, rendez-vous… Il y a deux mille royalistes dans la Bastille !
— Vive le roi ! vociférèrent les assiégés.
— Jetez vos armes !…
Les arquebuses et les hallebardes passèrent à travers les barreaux de la fenêtre.
— Bon !… ne bougez plus, ou vous êtes morts ! Il y a grâce de la vie pour quiconque ne bouge d’ici !…
— Vive le roi !… Mort à Guise ! répondit le hurlement d’épouvante.
En même temps, Sainte-Maline, Montsery et Chalabre ouvraient la grand-porte, abattaient le pont-levis.
— Partons ! crièrent-ils.
— Partez ! fit Pardaillan.
— Et vous ?…
— Partez donc, mordieu !…
— Adieu, monsieur de Pardaillan ! Souvenez-vous de notre dette !
Tous les trois bondirent sur le pont-levis et l’instant d’après disparurent dans la nuit. Charles considérait Pardaillan sans comprendre, mais avec cette confiance illimitée qu’il avait pour lui. Que voulait donc Pardaillan ? Pourquoi ne fuyait-il pas ? Que lui restait-il à faire dans la Bastille ?
Et pourtant la situation, qui, après avoir été tragique, était maintenant si favorable, menaçait de redevenir terrible. En effet, au tocsin de la Bastille, d’autres tocsins dans Paris avaient répondu. Des rumeurs s’éveillaient. Des portes et des fenêtres s’ouvraient. Des gens apparaissaient dans les rues, se demandant ce qui se passait et si Paris était surpris par les hérétiques de Béarn !
Ce qui se passait !… Il se passait que Pardaillan prenait la Bastille !… Et la Bastille prise, que voulait-il encore ?… Il se rapprocha de la fenêtre grillée où les vingt gardes terrorisés, affolés par ces bruits qu’ils entendaient, persuadés qu’Henri III était dans Paris, se confessaient les uns aux autres, à tout hasard.
— Le chef ?… demanda Pardaillan.
Un sergent s’approcha en joignant les mains et en disant :
— Grâce ! Je n’en ai pas fait plus que les autres !…
— Rassure-toi, mon ami, fit Pardaillan. Vous aurez tous vie sauve. Passe-moi simplement les clefs des cachots, et
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