La Fausta
fais-moi le plaisir de sortir avec six de ces braves.
— Vive le roi ! clama le sergent.
Quelques instants plus tard, il rejoignait Pardaillan avec six hommes portant chacun un trousseau de clefs.
— Mon ami, dit Pardaillan, le roi veut voir les prisonniers de la Bastille dès cette nuit, excepté ceux de la tour du Nord.
— De dangereux truands.
— C’est vrai. Va donc me chercher les autres. Et tâche d’être prompt si tu veux qu’on oublie que tu fus guisard.
— Vive le roi ! répéta le sergent qui s’élança au pas de course.
Dix minutes se passèrent. Dans la Bastille les rumeurs s’apaisaient peu à peu. Et si l’on entendait encore des cris, c’étaient ceux de : « Vive le roi ! » Mais hors de la Bastille, Paris, réveillé par les tocsins, s’armait, se répandait dans les rues. On ne savait pas encore pourquoi, ni d’où venait cette alarme… mais bientôt… Charles d’Angoulême regarda Pardaillan d’un air qui signifiait clairement que vraiment c’était tenter le diable que d’attendre plus longtemps. Pardaillan se mit à rire et dit :
— Savez-vous à quoi je songe ?
— Non, mon cher ami, et je vous avoue que…
— Eh bien ! interrompit Pardaillan, je songe à la figure que doit faire le gouverneur de la Bastille, M. de Bussi-Leclerc, en entendant ces cris de : « Vive le roi ! »…
A ce moment, Bernard Palissy arrivait devant le pont-levis avec les trois huguenots délivrés. Ces trois hommes étaient couverts de sang et tout déchirés ; on voyait qu’ils s’étaient rudement battus. L’un d’eux était blessé, mortellement peut-être, et les deux autres le soutenaient. Mais tous avaient ce visage extasié, cet air d’étonnement effaré de gens qui s’apprêtaient à mourir et qu’on rend à la vie. Seul Palissy était fort calme. A pas pressés, ils franchirent le pont-levis et s’enfoncèrent dans Paris.
A ce moment, le jour se levait. Les rues se remplissaient de bourgeois effarés ; des patrouilles de gens d’armes passaient en courant ; des troupes marchaient vers les portes, et les foules du peuple se portaient sur les remparts pour repousser l’attaque. Car tout ce monde, maintenant, croyait que Paris était attaqué, soit par une armée d’Henri III, soit par les huguenots d’Henri de Navarre.
— Alerte ! Aux armes ! Aux remparts !…
On n’entendait que ces cris qui, se mêlant aux mugissements du tocsin, faisaient une vaste rumeur. Dans le corps de garde de la Bastille, les soldats enfermés s’époumonaient à crier :
— Vive le roi !…
Ils espéraient ainsi se faire pardonner d’avoir servi la cause du duc de Guise qui, sûrement, allait être déclaré traître et rebelle.
Tout à coup, une bande étrange parut aux yeux de Pardaillan et de Charles d’Angoulême, une bande composée de gens maigres, hâves, livides, avec des yeux hagards et papillotants comme ceux des oiseaux de nuit que frappe la lumière du jour ; la plupart étaient en guenilles, quelques-uns à peine vêtus. Et tous portaient sur le visage ce masque de doute, de stupéfaction, de terreur et de ravissement que Pardaillan avait vu chez ceux à qui il avait ouvert lui-même.
Ces gens, c’étaient les dix-huit prisonniers restants. Le sergent et ses six hommes les poussaient. Car beaucoup de ces malheureux, ne pouvant croire qu’ils allaient être libres, s’imaginaient, aux clameurs qu’ils entendaient, qu’il s’agissait d’un massacre. Devant la porte grande ouverte, devant le pont-levis baissé, ils s’arrêtèrent avec une sorte de farouche défiance. Une indicible émotion étreignait le cœur de Pardaillan.
— Eh bien ? dit-il, qu’attendez-vous pour vous en aller ?
— Puisque le roi fait grâce ! hurla le sergent. Vive le roi !… Vive le nouveau gouverneur de la Bastille !…
Pardaillan tendit le bras vers Paris en rumeur, vers le pont-levis et cria :
— Allez donc, morbleu ! puisque vous êtes libres !…
Alors une clameur terrible éclata parmi ces gens, faite de sanglots et de hurlements indistincts de leur joie furieuse. Et levant les bras au ciel, se poussant, se ruant, ils se précipitèrent sur le pont-levis ; en quelques instants, leur troupe affolée se fut dispersée dans les ruelles avoisinantes… il n’y avait plus de prisonniers à la Bastille !
— Maintenant, allons-nous-en, dit Pardaillan.
Et à son tour, avec Charles d’Angoulême, il franchit le pont-levis.
— Monsieur
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