La Fausta
duc, et d’une voix informe, sorte de grondement indistinct :
— Monseigneur, si vous frappez, frappez avec le fer, comme un gentilhomme à un gentilhomme…
La main de Guise se crispa, son bras retomba sans achever l’insulte. Bussi-Leclerc jeta le poignard sur le parquet et se croisa les bras.
Toute cette scène, emplie d’un silence violent, car le silence crie quelquefois plus que le cri, avait duré deux secondes à peine. Guise se mit à arpenter la vaste salle, soufflant fortement, et frappant le parquet de son rude talon. Le duc, peu à peu, se calma, revint sur Bussi-Leclerc et dit :
— Qu’eusses-tu fait, si je t’eusse frappé au visage ?
— Monseigneur, dit Bussi-Leclerc avec le courage de l’homme qui joue sa tête pour assurer sa situation branlante, monseigneur, je vous eusse frappé à la poitrine ; puis, ce fer rouge de votre sang, je l’eusse tourné contre moi-même. Ainsi j’eusse effacé deux déshonneurs : le mien, à moi qui avais été frappé, et le vôtre, à vous qui aviez frappé…
Guise grinça des dents. Et Bussi-Leclerc attendit l’ordre de son arrestation en songeant :
« J’en ai trop dit pour qu’il me pardonne. Je suis perdu. »
Mais non ! Ce n’est pas à Bussi-Leclerc qu’allait ce grincement de dents !… Si une pâleur mortelle venait de s’étendre sur le front du duc à la suite des paroles de Leclerc, si un accès de colère plus furieux que le premier semblait prêt à se déchaîner en lui, c’est que Guise songeait qu’il avait été, lui, frappé au visage !… Et que l’homme qui l’avait souffleté vivait encore !… Et que cet homme, ce Pardaillan, pouvait encore se vanter d’avoir déshonoré le futur roi de France…
Un rauque soupir lui échappa. Ce Pardaillan, il s’agissait de le retrouver ! Et pour cela, il ne fallait pas commencer par se priver de ses meilleurs serviteurs. Cette pensée lui rendit sinon du calme, du moins la modération nécessaire à ses projets. Renonçant donc à toute vengeance contre Bussi-Leclerc, ou la remettant à plus tard, il lui tendit la main en lui disant :
— Allons, j’ai eu tort, Bussi ; restons amis ; par le temps qui court, il fait bon de savoir nous pardonner notre mauvaise humeur. Avoue pourtant que cette fuite d’un homme dont tu répondais pouvait… Mais raconte-moi comment les choses se sont passées.
— Ah ! monseigneur, que sera-ce quand vous saurez tout !…
— Attends, Bussi, dit une voix éperdue de rage, d’épouvante et de désespoir ; moi aussi, je veux savoir !…
C’était Maurevert qui revenait à lui qui se relevait, se traînait jusqu’à un fauteuil où il tombait, et paraissant oublier la présence de Guise, du maître, ajoutait :
— Parle ! n’omets aucun détail !
Guise approuva de la tête, oubliant, lui aussi, qu’en d’autres circonstances il eût sévèrement réprimé l’attitude de Maurevert.
Alors, à mots hachés, coupés de jurons, de soupirs et d’imprécations, Bussi-Leclerc entreprit le récit du fantastique duel au fond du cachot ; et ce fut au cours de ce récit que sa vanité se réveilla, sa vanité saignante de maître ès armes que nul ne pouvait toucher. Bussi-Leclerc s’accusa d’imprudence ; Bussi-Leclerc cria qu’il n’était qu’un misérable ; mais Bussi-Leclerc qui venait de tenir tête à Guise, et qui avait froidement envisagé de se tuer sur le cadavre du duc tué par lui, oui, cet homme de courage et, après tout, meilleur qu’un autre, au fond, Bussi-Leclerc sentit les mots s’étrangler dans sa gorge quand vint le moment d’avouer qu’il avait été pour la deuxième fois désarmé !
Et Bussi-Leclerc mentit ! Il mentit en se jurant de tuer à petit feu Pardaillan, cause de son mensonge ! Il mentit en blêmissant, en se criant en lui-même et à lui-même des injures de corps de garde et de tripot… mais il mentit !… Il inventa des péripéties, s’acharna aux détails, et prouva que Pardaillan avait été désarmé…
— Et ce fut alors, ajouta-t-il, au moment où je me baissais pour ramasser son épée, ce fut alors que traîtreusement et de pure félonie, il me déchargea sur la tête un grand coup de poing à assommer un bœuf, si bien que moi, qui ne suis pas un bœuf, je tombai le nez sur le sol, je perdis connaissance, et quand je m’éveillai, je me trouvai seul, enfermé dans le cachot !… Mais ce n’est pas tout !… Le reste est incroyable, inimaginable, et
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