La Fausta
m’a été recommandé par mon vénérable abbé-prieur.
— Le Révérend Bourgoing ?
— Oui, madame.
— Et vous savez qui je suis, moi ?
— Je présume que vous êtes celle qu’on nomme princesse Fausta !
— En effet… dit la Fausta de ce ton de simplicité qu’elle prenait pour ne pas effrayer les gens de prime abord.
— Mon Révérend prieur, le très vénérable Bourgoing, m’a dit que je pouvais avoir confiance en vous, reprit Jacques Clément.
— En effet, reprit Fausta avec une grande douceur, vous pouvez avoir confiance en moi…
— Voici donc ce qui m’amène, madame…
Le moine leva les yeux sur Fausta, comme s’il eût eu quelque dernière hésitation.
— Parlez sans crainte, dit Fausta d’un ton de commandement et de persuasion qui fit frémir le jeune homme.
— Oui, dit-il, sans se rendre compte de cette exaltation soudaine qui s’emparait de lui, oui, je comprends, je sens, je vois que je puis parler sans crainte… Eh bien, madame, mon cœur a conçu un terrible projet. Ce projet, je l’exécuterai même si je dois être damné. Mais j’ai demandé au Révérend Père Bourgoing de m’accorder la sainte absolution, et il m’a répondu que pour un cas aussi grave, il n’y avait qu’une personne au monde capable de donner l’absolution… j’entends l’absolution d’avance.
— Et cette personne, demanda Fausta.
— Le Révérend abbé m’a assuré que vous pourriez me conduire auprès d’elle afin qu’elle puisse m’entendre sous le sceau de la confession.
— Parlez donc, sire moine, dit tranquillement Fausta. Car vous êtes devant celle dont vous a parlé votre abbé, celle qui peut vous absoudre.
A ces mots, Fausta se redressa dans son fauteuil. Il n’y eut qu’un imperceptible changement dans son attitude, un pli de robe arrangé, la taille plus droite, la tête plus roide, la main portant l’anneau placée sur le genou. Cela suffit pour rendre Fausta méconnaissable.
Ce n’était plus une femme… C’était un être mystérieux, à qui il plaisait de se montrer femme, mais qui tout à l’heure peut-être serait prince, reître ou prêtre.
Jacques Clément, depuis la nuit dans la chapelle des jacobins, vivait dans une sorte d’éréthisme sentimental, ou plutôt dans une crise de folie spéciale. Très raisonnable et même capable de beaux sentiments, comme on l’a vu par sa rencontre avec Pardaillan, d’esprit sombre, mais très lucide, son imagination le transportait dans une vie à part dès qu’il était question de cette vision et de ce qui s’y rattachait… c’est-à-dire le meurtre projeté d’Henri de Valois.
Il lui semblait alors entendre des voix surhumaines et apercevoir des êtres fantastiques au milieu desquels il se mouvait à l’aise, comme si le domaine du fantastique eût été désormais la seule réalité réelle. Tout le reste, Paris, le monde, la religion devenait irréel. Ce qui était vrai seulement, c’était le songe. Bourgoing, prieur des jacobins, avait dit à Jacques Clément : « Pour l’absolution que vous demandez, mon fils, seul un envoyé direct du Saint-Père, une émanation de la papauté, en prince armé de pleins pouvoirs peut vous la donner. »
Dans l’idée du moine, cette Fausta, cette princesse étrangère affiliée à la Sainte-Ligue devait le mettre en présence du prince de l’Eglise dont avait parlé Bourgoing. Et Fausta venait de dire : « Vous êtes devant celle qui peut vous absoudre… »
Le moine regarda Fausta et ne la reconnut pas. Il vit ce visage qui, de doucement féminin, était devenu flamboyant et majestueux. Un étrange frémissement s’empara de lui. Il entendit à son oreille ce coup de cymbales qu’il entendait lorsque, de la vie réelle, il se transposait subitement dans l’irréel. Et ses yeux s’étant abaissés jusqu’à la main de Fausta, il ne fut pas surpris d’y voir l’anneau des papes !…
Seulement il trembla comme il tremblait toujours quand il se voyait près du surnaturel. Son front se couvrit d’une sueur glacée. Lentement il se laissa tomber à genoux et balbutia :
— Qui êtes-vous ?… M’êtes-vous envoyée par le Seigneur ? Etes-vous un de ces anges, comme elle ?
A la question qui venait de lui être posée, Fausta répondit avec une sincérité absolue :
— Vous vous méprenez, sire moine. Je ne suis pas un ange. Ou du moins je ne suis pas un de ces êtres aériens à qui Dieu permet parfois de se mettre en rapport
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