La Fausta
de rudesse, il empoigna la jeune fille dans ses bras puissants, la souleva comme une plume, l’emporta dans l’angle le plus éloigné de la trappe fatale, s’assit sur le plancher, et la mit sur ses genoux.
Il pleurait à grosses larmes ; ses lèvres barbouillées de pleurs, tremblotantes, bégayaient des choses incompréhensibles, et il y avait sur son visage monstrueux une irradiation de bonheur inouï, de prodigieux étonnement et de suprême extase… Violetta souriait et répétait :
— Mon père… mon bon père Claude… c’est vous… c’est bien vous… mon père…
Et quand elle put comprendre quelques mots de ce qu’il balbutiait, elle l’entendit qui disait :
— Oui… c’est ça… appelle-moi encore ainsi… encore… que j’entende ta voix… comme tu es belle !… mets-moi ton bras autour du cou… tu sais bien… Ah çà ! que s’est-il passé ? Non, tais-toi, tu me diras ça plus tard… Dire que c’est toi !… Je ne rêve pas, dis !… C’est toi ! Ce sont bien toujours tes chers yeux… tes beaux cheveux… mon enfant… ma vie… ma Violetta… Dire que ce que je tiens là dans mes bras… c’est mon enfant !…
Il sanglotait, ses énormes épaules toutes secouées… il oubliait le monde, le lieu où il se trouvait, et pourquoi il y était, et ce qu’il était venu y faire…
— Ah çà ! fit-il en riant avec délices, rentrons chez nous… Comprends-tu cela ?… chez nous ?…
— Dans notre bonne petite maison de Meudon…
— Non… c’est-à-dire, si fait… c’est là !… Que diable faisons-nous ici ?… Viens, rentrons…
— Ici ! murmura Violetta reprise par un frisson d’épouvante. Oh ! Père… qu’est-ce donc, ici ?…
— Ici !…
Claude jeta ce mot comme une clameur d’enfer. Son visage se convulsa Ses regards eurent des lueurs de folie. Il répéta en grelottant :
— Ici !… Nous sommes ici !…
— Père, père ! quelle horrible angoisse vous saisit ! Oh ! j’ai peur ! Qu’est-ce donc que cette maison ?…
— Ce que c’est ! gronda Claude qui tressaillit, passa une main sur son front et jeta autour de lui des yeux hagards. Ce que c’est !… Oh !… je me souviens !… Damnation ! Fuyons… vite, fuyons !…
Il se releva d’un bond, saisit par un bras la jeune fille terrifiée par cette expression d’horreur qui éclatait soudain dans la voix de son père… A ce moment la porte s’ouvrit. Fausta parut, voilée de noir.
* * * * *
Fausta fixa sur Violetta un regard d’ardente curiosité.
— C’est donc là, murmura-t-elle, l’enfant que recueillit le bourreau ! C’est donc la fille de Farnèse ! Nouvelle raison, plus puissante encore, pour qu’elle disparaisse !… qu’elle meure !
Claude s’était arrêté pétrifié. Fausta étendit les bras et dit avec une funèbre simplicité :
— Qu’attendez-vous ?…
Claude eut un recul de bête sauvage à l’instant de l’égorgement. Un soupir de damné s’exhala de sa vaste poitrine. Violetta, tremblante, fixait un regard éperdu sur cette femme vêtue de noir qui parlait si étrangement à son père. Fausta, de sa même voix affreusement simple, répéta :
— Qu’attendez-vous ?
Alors Claude frémit. D’un geste violent, il repoussa derrière lui Violetta comme pour une protection suprême. Puis il joignit ses mains énormes et, la tête perdue, balbutia d’une voix très basse :
— Mon enfant, madame, c’est mon enfant… ma fille ! Figurez-vous que je l’avais perdue… et je la retrouve ici !… Figurez-vous que vous avez perdu le paradis… et que vous le retrouvez dans l’enfer… Vous ne voudriez pas, n’est-ce pas ? maintenant que vous savez. Allons… laissez-nous passer…
— Maître Claude, dit Fausta, qu’attendez-vous pour faire votre besogne ?… Bourreau, qu’attends-tu pour exécuter la condamnée ?…
A ce mot de bourreau, Violetta regarda la femme noire avec stupeur… puis son père… avec épouvante ! Et un cri d’angoisse et d’horreur jaillit de sa gorge tandis qu’elle reculait en cachant son visage dans ses mains :
— Mon père !… Bourreau !… Mon père est bourreau !…
Claude entendit ce cri ! Et son visage devint couleur de cendres… Et il se replia, se tassa, les épaules basses, la tête tombée sur le poitrail, avec des soupirs affreusement tristes… Alors, il se tourna vers la jeune fille. Une sublime expression de désespoir s’étendit sur sa physionomie.
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