La Fausta
merveilles sans un frémissement, suivant son conducteur muet. Il parvint ainsi, de salle en salle, jusqu’à une pièce qui devait se trouver aux confins de ce palais, vers la Seine, et faisait pendant au lugubre vestibule de l’entrée. Elle était nue, froide, humide, avec des murs en pierre grise, sans un meuble ; seulement, au long des murailles, il y avait des chaînes accrochées à des anneaux de fer, comme si d’une enchanteresse résidence de fée magicienne, on fût soudain passé dans un cachot servant d’antichambre au condamné qui va marcher au supplice !
Là se tenait une femme vêtue de noir, la tête couverte d’une mantille en dentelle noire. On ne voyait pas son visage ; mais à sa main étincelait un anneau pareil à celui du prince Farnèse, avec les mêmes signes ; seulement, tandis que l’anneau du cardinal était en fer, celui qui brillait à cette main de femme était en or pur ; et les caractères du chaton étaient tracés par des diamants qui fulguraient dans la pénombre.
Cette femme, c’était celle-là même que nous avons entrevue place de Grève, c’était celle que Farnèse avait appelée Sainteté… C’était Fausta !
Du premier coup, les yeux de Claude se portèrent sur l’anneau, comme s’il l’eût avidement cherché. Alors il frissonna et tomba à genoux en murmurant :
— La Souveraine !…
Et tremblant d’une terreur mêlée de vénération, il se prosterna, courba le front jusqu’à lui faire toucher les dalles. De cette voix qui berçait comme une mélodie d’amour et suscitait l’effroi comme le verbe d’un archange exterminateur, Fausta prononça avec une étrange et glaciale solennité :
— Bourreau ! Nous, grande-prêtresse de l’ordre auquel vous avez juré obéissance, avons jugé et condamné à mort une créature humaine de qui la vie était une menace pour les projets sacrés dont nous sommes la dépositaire. Bourreau ! vous avez accepté d’être l’exécuteur de secrètes sentences qui ne relèvent que de la divine justice… Entrez donc dans la chambre des exécutions où la condamnée attend et accomplissez votre œuvre…
Claude releva le front et tendit les mains vers Fausta.
— Vous avez à Nous parler !… Nous vous le permettons… dit Fausta. :
— Souveraine, dit Claude avec un tremblement convulsif, moi chétif et humble, j’ose adresser une supplique à l’éblouissante Majesté aux pieds de laquelle je me prosterne…
— Parlez, bourreau : Nous sommes sur cette terre pour punir, mais aussi pour consoler…
— Consoler !… Oui ! C’est de consolation dont j’ai besoin… Mes nuits sans sommeil sont peuplées de spectres. Le vent qui passe m’apporte les larmes et les malédictions de ceux que j’ai tués… En vain je me crie que je fus seulement un instrument de la justice humaine ! En vain j’implore de Dieu tout-puissant de rendre un peu d’apaisement à mon cœur ! Je vois la Mort avec une inexprimable terreur… sans quoi je me fusse tué !… J’ai peur, Souveraine ! J’ai peur de mourir sans cette absolution suprême qui me fut promise par votre envoyé !… Depuis deux ans que j’ai juré obéissance, par trois fois j’ai dû venir ici exercer mon terrible ministère… et la Seine n’a redit à personne le secret des trois cadavres que je lui ai jetés !…
Un effroyable sanglot râla dans la gorge de Claude, et cette figure monstrueuse parut bouleversée par toutes les affres d’une superstition délirante. Il frappa son vaste front sur les dalles, et, avec un désespoir insensé :
— J’ai consulté vingt docteurs, reprit-il. Et, en apprenant qui j’étais, aucun n’a voulu me répondre ! J’ai imploré la pitié de plus de cent prêtres : et aucun n’a voulu tracer sur ma tête le signe rédempteur qui m’eût rendu le repos !…, A votre envoyé, Souveraine, j’ai refusé l’or qu’il m’offrait… mais lorsqu’il m’a promis la sainte absolution, j’ai signé le pacte !… Par trois fois, dis-je, j’ai obéi, Souveraine ! Maintenant, je ne peux plus ; l’horreur me submerge, et je vois s’ouvrir devant moi les effroyables mystères de la damnation éternelle… Souveraine, ayez pitié de moi !…
— Vous avez bien fait de m’ouvrir votre âme, dit Fausta d’un accent de douceur pénétrante. Bourreau, l’épreuve est terminée. Allez demain dans Notre-Dame. Après la messe, vous serez entendu en confession générale, non pas par un
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