La Fausta
amour, il se trouva que Charles rencontra dans Pardaillan le plus fraternel, le plus spirituel, le plus parfait des amis que puisse rêver un amoureux. C’est-à-dire que cinq heures durant, avec une patience inaltérable, Pardaillan l’écouta sans l’interrompre, sans arrêter d’un seul mot les effusions de son cœur. Et lorsqu’il eut enfin terminé, et que timidement il demanda un conseil, le chevalier répondit en vidant son verre :
— Aimez-la, morbleu ! et faites-vous aimer ! Et soyez heureux, tous deux ! Bohémienne ou princesse, du moment que vous l’aimez, elle est l’étoile qui vous guidera. L’amour, voyez-vous, monseigneur, c’est encore ce que les hommes ont trouvé de mieux pour faire semblant de s’intéresser à la vie !
Sur ces mots tant soit peu amers, Pardaillan s’alla coucher, non sans avoir annoncé à Charles qu’il se rendrait le lendemain matin à la
Devinière
, rue Saint-Denis, où il l’attendrait pour savoir le résultat de sa démarche auprès de Belgodère.
Quant à Charles transporté de joie, il regagna également son lit où, bien entendu, il ne put fermer l’œil de la nuit, en sorte qu’à l’aube, il était debout, et que vers sept heures il sortait… Le jeune duc sentait son cœur battre avec une douce violence… Une sorte de frémissement le secouait lorsqu’il évoquait l’image si pure et si harmonieuse de celle qu’il aimait de toute son âme…
— La revoir ! murmura-t-il en s’élançant enivré, la revoir et lui dire… oserai-je ?…
Pardaillan, lui, dormit comme un homme qui pour l’instant n’a rien de mieux à faire. Et au matin, vers neuf heures, il se rendit, comme il l’avait dit, à la
Devinière
, célèbre rôtisserie où jadis Rabelais avait fait des siennes, où plus tard avaient fréquenté les poètes de la Pléiade, et qui était alors le rendez-vous de la haute société galante qu’attiraient la solide réputation des petits pâtés de la maison et la beauté de l’hôtesse.
Lorsque le chevalier de Pardaillan gravit, non sans une sourde émotion, les quatre marches du perron de la
Devinière
et qu’il s’assit dans un coin obscur de la grande salle commune, cette hôtesse, les bras nus jusqu’aux coudes, le visage tout rose devant la haute flamme claire de la cuisine, le teint animé, les yeux brillants, surveillait justement deux ou trois rangs de bécassines et de sarcelles des marais de la Grange Batelière qui tournoyaient gravement et se doraient au feu, tandis qu’un chien de berger à poil rude et fauve, couché en rond non loin de l’âtre, considérait lesdites volailles d’un œil rêveur. Ce chien avait d’ailleurs un air de béatitude et de satisfaction qui sentait son chien gras, poli, revenu des illusions, philosophe, n’aspirant plus qu’au repos.
Huguette, la patronne de la
Devinière
, avait à cette époque un peu plus de trente-trois ans, ce qui est l’âge où les beautés à la Rubens sont dans le plein épanouissement de leur splendeur ; mais soit que son heureuse nature l’eût garantie de cet embonpoint qui fait que la plus jolie femme se transforme en commère, soit que sa notoire sagesse lui eût conservé cette fleur de la deuxième jeunesse plus charmante peut-être que la première, soit enfin pour tout autre motif, Huguette paraissait à peine vingt-six ans ; sa taille avait gardé de la ligne, ses traits avaient une finesse que plus d’une grande dame leur eût enviée, et ses yeux veloutés, naïfs et tendres s’éclairaient d’un lumineux sourire.
Tout à coup, le chien roux leva le nez, avec un tressaillement ; puis ses yeux bruns dorés s’emplirent d’une sorte d’angoisse, et il se dressa subitement sur ses pattes en reniflant…
— Eh bien, vieux Pipeau, fit Huguette, que se passe-t-il donc ?
Le chien répondit par un jappement où il y avait une joie folle, de l’étonnement, et du doute encore, puis, remuant avec frénésie son moignon de queue, se précipita comme une flèche dans la salle commune. Huguette saisit dans ses deux bras une pile d’assiettes et pénétra à son tour dans la salle pour commencer à disposer le couvert sur quelques tables destinées à des gentilshommes…
Au même moment, elle entendit Pipeau — le chien de berger — qui se répandait en gémissements brefs, en plaintes délirantes de joie.
Et Huguette le vit qui se roulait, tourbillonnait sur lui-même, exécutait mille extravagances, et enfin, avec un profond
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