La Fausta
je n’ai plus personne au monde qui m’aime… que vous…
Le chien, à ce moment, fit entendre une plainte, comme s’il eût compris…
— Et toi ! fit Pardaillan qui caressa la belle tête expressive de Pipeau. Donc, puisque vous êtes tous deux seuls à m’aimer, je ne vois pas pourquoi je vous cacherais mon cœur. Et puis, je ne sais si c’est ce brave vin, ou les souvenirs qui se lèvent en foule sous mes pas… enfin, sachez donc, dame Huguette, que si j’étais si triste à mon dernier passage à Paris, c’est que je venais de perdre Loïse…
— Morte ! fit l’hôtesse avec une sincère et profonde douleur ! Morte ! Loïse de Montmorency !…
— Loïse de Pardaillan, comtesse de Margency, dit gravement le chevalier. Car elle était ma femme. Et moi, on m’avait fait comte de Margency. Oui, elle est morte… Le jour où nous quittâmes Paris, en ce jour d’horreur où nous marchions dans du sang, où nous étions comme fous dans la fournaise de la hideuse bataille…
— La Saint-Barthélemy ! murmura Huguette avec un frisson.
— Oui… Ce fut ce jour-là, cela du moins je vous l’ai dit, que mon père succomba à ses blessures… là-haut… sur la colline de Montmartre. Et ce fut à ce moment, à cette minute d’angoisse où je me penchais sur mon père étendu dans l’herbe, ce fut alors qu’un démon bondit et frappa Loïse d’un coup de poignard… Versez-moi donc à boire, ma jolie Huguette.
— Oh ! c’est affreux ! fit l’hôtesse. Voir mourir le même jour votre père et… celle que vous adoriez !…
— Non ! dit Pardaillan, qui se versa lui-même une rasade. Elle ne mourut pas ce jour-là. La blessure était insignifiante. Et Loïse en guérit rapidement…
— Alors ? balbutia l’hôtesse.
— Alors, je l’épousai… à Montmorency. Alors j’entrevis le parfait bonheur. Alors je crus que le paradis était descendu sur terre exprès pour moi. Car, vous l’avez dit (Huguette baissa les yeux), j’adorais Loïse comme j’adorerai jusqu’à mon dernier souffle le dernier souvenir que je garde d’elle… Je l’aimais, voyez-vous, comme l’ange qui se penche sur la vie d’un malheureux… Je l’avais conquise avec mon cœur et mon épée… elle était mon âme…
Pardaillan disait ces choses-là avec un léger tremblement, les yeux perdus au loin, dans son passé…
— Pauvre chevalier ! Pauvre Loïse ! dit Huguette, oubliant son propre amour par un miracle d’amour.
— Oui !… Trois mois après notre union, l’ange s’envola… Depuis quelques jours déjà, je voyais bien que Loïse dépérissait. Mais je me disais que je l’aimais tant… que la mort n’oserait la toucher !… Un soir, une fièvre ardente la prit… Le lendemain matin, elle jeta ses bras autour de mon cou, voulut prononcer quelques mots, et expira doucement, ses beaux yeux bleus fixés sur mes yeux…
Un long silence suivit ces paroles.
— Pauvre chevalier ! Pauvre Loïse ! répéta l’hôtesse avec une de ces voix de caresse qui sont aux douleurs de l’âme ce qu’un baume rafraîchissant est aux brûlures du corps.
Et comme le chevalier se taisait, elle reprit timidement :
— Elle a donc succombé à cette fièvre ?
Pardaillan la regarda avec une expression hagarde et secoua la tête :
— Si elle était simplement morte d’une fièvre, dit-il d’une voix étrangement rauque, n’ayant plus rien à faire au monde, je serais mort aussi, moi !… Or, j’ai vécu… et je vis… ajouta-t-il avec un accent terrible.
Il laissa retomber son verre vide sur la table et reprit :
— Loïse est morte assassinée…
— Assassinée ! balbutia Huguette.
— Oui : ce coup de poignard… sur la colline de Montmartre…
— Mais vous disiez, chevalier…
— Que la blessure était insignifiante. C’est vrai : une égratignure bientôt cicatrisée. Seulement, le poignard…
— Eh bien ?
— Eh bien !… le poignard était empoisonné !…
L’hôtesse frissonna.
— Alors, poursuivit le chevalier, je me mis en route pour rejoindre l’homme. C’est à cette époque que je vous vis, ma bonne Huguette, et que je vous confiai mon dernier ami… mon chien, mon brave Pipeau.
— Et… vous l’avez rejoint… l’homme ?…
— Pas encore. Il sait que je le cherche. Par quatre fois, j’avais réussi à l’acculer… je le tenais ! Mais la peur, Huguette, est une rude maîtresse, qui vous apprend tous les tours et détours du métier :
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