La Fausta
mourir sa fille… l'avait tuée peut-être?… Qui savait!… Et ce sentiment qui grondait dans l'âme de Farnèse au moment où majestueux dans les plis de sa robe rouge, il marchait vers Claude prosterné, c'était la haine…
Oh! faire souffrir cet homme comme il avait souffert, lui… Lui rendre douleur pour douleur, désespoir pour désespoir. Le tenir pantelant, sanglotant, suppliant à ses pieds, comme lui-même avait supplié et sangloté…
Il s'assit près de Claude, non pas à la place ordinaire du confesseur, de l'autre côté du grillage, mais près de lui, le touchant presque… Claude ne remarqua pas ce détail. Son visage rayonna lorsqu'il vit le cardinal Et même une sorte de malice joyeuse pétilla dans ses yeux.
«Si triste et sombre maintenant, comme il va être heureux tout à l'heure!» songea-t-il.
- Je vous écoute, dit Farnèse, glacial.
Un frisson secoua les larges épaules de Claude. Mais il l'attribua à l'impression que dégageait l'immense église déserte et silencieuse où, si formidable, il se sentait si petit… Alors, il commença le hideux récit… ! sa confession de bourreau qui a horreur de tant de meurtres froidement accomplis.
Ce fut effroyable; Farnèse vit couler du sang, entendit des os craquer, écouta des gémissements d'épouvante… et toute cette fantastique évocation, c'était la confession du bourreau qui, les cheveux hérissés, les yeux hagards, grondant et suant, racontait, racontait toujours, et parfois levait un regard de détresse sur le cardinal…
Et celui-ci demeurait glacial. Pas un mot, pas un geste; Farnèse attendait que ce fût fini… Claude, enfin, s'arrêta, haletant.
- Ce sont bien là tous vos meurtres? demanda Farnèse au bout d'un long silence.
- Tous, monseigneur, répondit Claude humblement. Je n'ai rien oublié…
Farnèse avait fermé les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, il darda un tel regard, et si aigu, si pareil à un coup de poignard, que Claude frissonna longuement, se ramassa sur lui-même comme à l'approche d'un malheur.
- Tu as oublié le plus hideux de tes meurtres, dit alors Farnèse. Tu as pendu des infortunés, ce n'est rien, cela! Tu as fait voler la tête de quelques gentilshommes; ce n'est rien, cela! Tu as roué, tu as fouetté, tu as fait crier de la chair; ce n'est rien cela! Monstre, descends en toi-même, et cherche le véritable crime de ton existence abjecte!…
Claude, avec un frémissement d'épouvante et d'horreur, se releva… Au même instant, le cardinal fut debout et lui saisit la main.
- Ton crime, gronda-t-il d'une voix où il n'y avait plus d'intonation humaine, ton crime, Claude, n'est pas dans ces meurtres. Car tu n'étais qu'un instrument! Tu n'étais pas plus coupable que ta hache ou ta corde! Ton crime, c'est d'avoir tué un cœur d'homme, le mien!…
Claude voulut balbutier quelques mots. Mais déjà le cardinal poursuivait:
- Tu m'as volé ma fille! Tu l'as laissée mourir! Tu l'as tuée, dis-je?… Réponds!… Non! Tais-toi!… Misérable démon, moi, t'absoudre!… Ecoute, écoute, puisque tu as une fille, puisque, toi aussi, tu as un cœur de père!…
Claude devint pâle comme un mort. Il sentit passer sur sa nuque le souffle terrible de l'Inévitable… Les yeux dilatés, la bouche ouverte, il considérait Farnèse sans pouvoir énoncer un mot… Le cardinal eut un rire effrayant et, de sa main, secoua violemment le bras de Claude.
- Ah! tu as une fille, toi aussi! Ah! tu aimes, toi aussi!… Ta fille, monstre, c'est moi qui l'ai conduite dans la chambre des exécutions!… Oui, oui, je vois le ricanement de tes yeux! Tu veux dire que tu l'as sauvée? que tu as plongé dans la trappe!… que tu…
Un hurlement l'interrompit:
- Vous saviez ce qui s'est passé cette nuit!… rugit Claude.
- Oui, je le savais!… Et c'est pour cela… c'est pour te dire… écoute!… ta fille… en ce moment… tu m'entends? démon!… Ta fille… elle est reprise! Elle est aux mains de Fausta!… On la tue!… Et c'est moi qui ai fait cela!…
Farnèse, d'un geste rude, repoussa Claude et se croisa les bras, attendant, espérant peut-être que le formidable poing de Claude allait l'assommer. Mais Claude sous l'épouvantable parole, avait fléchi, ses deux mains à son visage, et demeurait sans un geste, sans une parole… On ne voyait rien de sa physionomie, on n'entendait rien de lui, sinon une sorte de râle très rauque.
Ce silence funèbre dura une seconde…
Lorsque Claude laissa retomber
Weitere Kostenlose Bücher