La Fausta
la porte de fer immuable, impassible. Enfin, il s'en alla, la tête basse, toujours avec ce même râle qui gonflait son vaste poitrail et s'exhalait en un souffle rauque de fauve qui souffre.
Claude rentra dans son logis et se mit à errer. Dame Gilberte avait disparu; toutes les portes étaient ouvertes: dans la chambre où avait dormi Violetta, il y avait des traces de lutte, des sièges renversés, un rideau arraché. Machinalement Claude se mit à tout remettre en place.
Il prononçait des mots sans suite, et serrait convulsivement dans ses mains les quelques objets qui avaient pu toucher Violetta… Cela dura deux ou trois heures… Parfois, il allait jusqu'à la porte extérieure qu'il avait laissée ouverte, et regardait dehors; puis il rentrait précipitamment à l'intérieur, et courait jusqu'à la chambre… Il ne pleurait plus. Il finit par se jeter dans le fauteuil où s'était assise Violetta et ferma les yeux, essaya de réfléchir… Quelles pensées traversèrent alors cette tête douloureuse?… Quels projets s'y agitèrent?… Quelles résolutions suprêmes?…
- C'est cela, murmura-t-il avec un indéfinissable sourire; c'est cela pardieu!… Mourir!… Quelle bonne idée!… Comment n'y ai-je pas songé plus tôt?…
Il se releva avec une sorte d'empressement joyeux, et courut à une salle où il n'avait pas dû entrer depuis bien longtemps, car tout y sentait le moisi. Claude ouvrit violemment la fenêtre et rabattit les contrevents. La lumière éclatante du plein midi entra à flots dans cette pièce et éclaira soudain des haches rouillées, des masses, des maillets de bois, des couteaux, tout cela soigneusement accroché aux murs en bon ordre… Cette salle… c'était la salle aux outils… les sinistres outils de son ancien métier!…
Dans un coin des paquets de cordes toutes neuves; quelques-unes de ces cordes étaient toutes préparées, avec le nœud coulant au bout. Claude en saisit une, et, tout courant, revint à la chambre de Violetta…
Là, il éprouva la solidité de la corde, ses mains ne tremblaient pas; tous les détails de son métier lui revenaient d'instinct et, avec le plus grand soin, il se mit à graisser la corde aux abords du nœud coulant; il s'assura que cela glissait bien, puis il planta un clou énorme assez haut dans le mur et y accrocha la corde… Alors, monté sur l'escabeau qui lui avait servi pour planter son clou, il jeta autour de lui un dernier regard; un soupir gonfla sa poitrine, il murmura un mot, sans doute le nom de Violetta, et passa le nœud coulant autour de son cou.
Alors, d'un coup de pied, Claude fit basculer l'escabeau… Il tomba dans le vide.
* * * * *
Au même instant, quelqu'un parut au seuil de la chambre. Ce quelqu'un vit maître Claude pendu. Il tira son poignard, et, au-dessus de la tête, trancha la corde… Claude s'affaissa au long du mur… L'homme, avec la même résolution, desserra le nœud coulant et se mit à frictionner le bourreau qui, au bout de quelques minutes, commença à respirer et ouvrit les yeux… Cet homme, c'était le cavalier noir qui, trois heures auparavant avait pénétré dans l'
Auberge du Pressoir de Fer
, pendant que Claude essayait de défoncer la porte de la maison Fausta. Et ce cavalier noir, c'était le père de Violetta, le cardinal prince Farnèse…
* * * * *
Claude, en revenant à lui, reconnut le cardinal. Une bouffée de sang monta à sa tête. Un grognement bref s'échappa de ses lèvres, il se releva, repoussa rudement Farnèse, et avec un éclat de rire infernal, s'élança hors de la chambre. Quelques secondes plus tard, il reparaissait, une lourde hache au poing. Le cardinal n'avait pas bougé. Il était immobile à la place même où l'avait laissé Claude…
Dans cet instant où l'œil perçoit plus complètement et plus soudainement les choses. Claude s'aperçut alors d'une chose qu'il n'avait pas remarquée tout d'abord… Le matin dans la cathédrale, les longs et fins cheveux du cardinal et sa barbe soyeuse étaient presque noirs… Maintenant, cette barbe et ces cheveux étaient blancs… Le cardinal Farnèse avait vieilli de vingt ans en quelques heures…
Claude fit cette remarque sans y attacher aucune importance. Il s'avança sur Farnèse en grondant:
- Merci, prêtre! Je t'avais oublié, tu viens me rappeler qu'avant de mourir!…
- Je viens te rappeler que tu as autre chose à faire que de mourir, dit Farnèse d'une voix étrangement calme.
La hache qui se levait
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