La Fausta
au Christ la prière qu’elle avait commencée aux quatre démons. Ruggieri était sorti…
— M. Peretti est-il arrivé ? demanda-t-il à un laquais.
— Il attend depuis dix minutes dans la salle des Nymphes.
Ruggieri s’avança précipitamment vers cette salle, ainsi nommée parce que Catherine de Médicis, demeurée artiste passionnée jusqu’à la fin de sa vie, avait entassé là une vingtaine de toiles italiennes représentant toutes les demi-déesses de la mythologie grecque.
Là, un homme vêtu comme un modeste bourgeois, assis dans un fauteuil à coussins, examinait ces peintures d’un regard de souverain mépris. C’était un vieillard à cheveux gris ; il pouvait avoir un peu plus de soixante-huit ans ; mais sa taille élevée se tenait droite dans une attitude de force et d’orgueil ; il y avait du défi dans son port de tête ; ses yeux violents et sa bouche amère donnaient à son masque une formidable physionomie de reître ou de condottiere qui ne ménage ni le stylet ni le poison, tandis que son front vaste indiquait l’ampleur des pensées et que ses maxillaires énormes dénotaient l’astuce poussée à ses dernières limites.
Tel était M. Peretti.
Au moment où Ruggieri entra, cette magnifique tête de vieillard, flamboyante et rude, s’adoucit ou, si nous osons dire, s’éteignit soudain. Son buste s’affaissa. Il se leva en gémissant, comme s’il eût eu beaucoup de peine à se mouvoir et, courbé, s’appuya sur une canne de sa main droite, tandis que de la gauche il pesait de tout son poids sur le bras que Ruggieri lui tendait avec respect.
L’astrologue, sans prononcer un mot, conduisit le visiteur jusqu’à une pièce qui communiquait avec l’oratoire de la reine. De la place où il s’assit, M. Peretti pouvait voir et entendre à travers une baie assez large qui, dans l’oratoire, était dissimulée par une tapisserie.
Catherine de Médicis venait à peine d’achever la fantastique prière où les anges Gabriel et Michaël se mêlaient si étrangement aux démons Asmodel et Elubeb, lorsque des acclamations du peuple retentirent au loin dans les rues. Elle se releva les poings serrés, et haletante, l’oreille tendue vers ces bruits de joie qui venaient de souffleter sa tristesse, gronda :
— Voici Henri de Guise qui vient ! On l’acclame, lui !… Il est le fils de David… Et mon fils à moi n’est plus qu’Hérode, le vilain Hérode contre qui les pierres se dressent en barricades !… Mais patience… Encore patience ! Tout n’est pas fini… Je suis venue à bout des huguenots, de Coligny, du Béarnais… je viendrai bien à bout des Lorrains !…
La rumeur des vivats grossit, se rapprocha, puis s’affaissa presque tout à coup : Henri de Guise venait de pénétrer dans l’hôtel de la reine. Quelques instants plus tard, Catherine entendit le bruit d’une nombreuse escorte, le cliquetis des éperons sur les parquets ; la porte de l’oratoire s’ouvrit ; un valet de chambre, sorte de majordome dans l’hôtel, apparut. Mais avant même qu’il eût ouvert la bouche, la reine dit à haute voix :
— Allez dire à M. le duc qu’il nous plaît lui donner audience comme au plus fidèle sujet de Sa Majesté le roi…
— Je remercie Votre Majesté, dit le duc en entrant, de me donner ce nom de fidèle sujet qui est le plus beau titre auquel puisse prétendre un loyal gentilhomme…
La porte s’était refermée. La suite de Guise était demeurée dans la pièce voisine.
La reine prit place dans son fauteuil. Guise demeura debout, mais dans une attitude si hautaine et si agressive qu’il était difficile de savoir s’il venait en sujet du roi ou en conquérant qui va dicter ses conditions.
Catherine de Médicis avait pris cette physionomie de majestueuse dignité qu’elle adaptait comme un masque sur son visage mobile. Guise s’attendait à la voir humiliée, abattue, prête à demander grâce pour son fils…
— Mon cousin, dit-elle avec une sérénité qui était vraiment du grand art, quelles sont vos intentions ? Nous sommes seuls. Nul ne peut nous écouter. Moi, je suis disposée à tout entendre et comprendre. Reine sans trône, épouse de l’époux qui m’attend au ciel, mère dont tous les enfants sont tombés l’un après l’autre et dont le dernier survivant vient de subir la plus effroyable catastrophe qui puisse atteindre un roi, vieille enfin et ne trouvant plus de repos que dans la prière, je
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