La Fausta
sourdement :
— Oui, René, voilà l’audace des Guise et de leurs partisans !… L’avocat David que j’ai fait tuer faisait remonter l’ascendance de Guise jusqu’à Charlemagne… Que ferai-je à ce Rosières à qui la ligne des Carlinges paraît insuffisante et qui donne Chlodion le Chevelu [9] pour père à Henri de Lorraine ?…
— Ne vous plaignez pas, madame, dit l’homme à qui ces mots s’adressaient, et qui, debout, appuyé à un bahut, immobile, contemplait fixement la liseuse, ne vous plaignez pas : c’est vous qui avez couvé ce vautour ; il fallait lui rogner les ailes quand je vous l’ai dit…
— Mon fils est un usurpateur ; les Valois sont des usurpateurs, reprit la femme comme si elle n’eût pas entendu ; la vraie race royale, c’est la race des Lorrains… le vrai roi de France, c’est Henri de Guise !…
— Songez au passé, Catherine ! Songez que vous avez laissé tout le beau rôle au duc de Guise pendant les journées de massacre que ce livre appelle les pieuses matines de Saint-Barthélemy…
Cette fois la femme tressaillit et redressa la tête. Un éclair jaillit de ses yeux. Un rayon de soleil filtrant à travers les épais vitraux de la fenêtre vint accentuer le relief de cette tête énergique et sombre, et le visage de Catherine de Médicis, mère d’Henri III, avait à cette époque bien près de soixante-dix ans. Elle paraissait très fatiguée ; il y avait dans ses gestes une lassitude de la vie, comme si vraiment elle eût vécu soixante-dix siècles, ou comme si ses pensées fussent devenues trop lourdes pour sa tête.
— La Saint-Barthélemy ! fit-elle dans un souffle.
— Oui, dit l’homme qu’on avait appelé René, d’une voix terriblement calme, la mort de mon fils !…
La vieille reine n’entendit pas, ou feignit de ne pas entendre.
— Ruggieri, dit-elle, tu as raison. La Saint-Barthélemy est la grande faute de ma vie…
— Avez-vous des remords, ma reine ?…
Une sinistre ironie éclatait dans ces mots. Catherine de Médicis ne la releva pas.
— J’eusse dû, continua-t-elle, me débarrasser des Guise d’abord. Et quand aux huguenots, il eût toujours été temps de les livrer à la sanglante pitié du peuple… Mais n’en parlons plus, René… Voici Guise maître de Paris… Mon fils a fui : le pauvre enfant n’a eu que le temps de franchir les portes, comptant sur sa mère pour tenir tête aux barricadiers… Ah ! qu’il me connaît bien ! Il savait que la vieille ne déserterait pas, elle !
Elle frappa violemment sur le volume de l’archidiacre Rosières.
— Qu’ils prouvent donc tout ce qu’ils voudront ! Qu’ils tentent, qu’ils essaient la grande révolte ! La vieille est là toujours. Et par le sang du Christ, tant que je serai debout, le trône de France est à nous. Il y a là, ajouta-t-elle en se frappant sur le front, de quoi répondre à toutes les malices.
Elle s’était redressée ; une flamme de haine mettait une auréole tragique sur ce front vieilli… Mais bientôt, elle retomba dans son fauteuil et demeura méditative, les mains jointes. Une grande horloge, à ce moment, sonna lentement neuf heures.
— Dans quelques minutes, reprit-elle, le visiteur sera ici. Tu auras soin, René, de le placer de façon qu’il voie et entende tout. Quant à Guise, tu le feras introduire dans cet oratoire. Va, mon bon René… A propos, ce Loignes, comment est-il ?… En réchappera-t-il ?…
— Oui, ma reine. Il vivra. Dans un mois, il sera debout…
— Tu me l’amèneras alors, que je sache ce qu’on peut tirer de cet homme. Va, et occupe-toi d’une digne réception pour celui qui doit venir… Veille surtout que pas un mot, pas un geste ne trahisse le nom de l’auguste vieillard qui a voulu voir et entendre par lui-même…
Ruggieri, au lieu de sortir, s’approcha de la vieille reine, sortit de sa poche un sachet de velours, et en tira une pierre ronde qu’avec précaution il déposa sur la table devant Catherine.
— Qu’est-ce que cela ? fit la reine dont les yeux se mirent à briller d’une joie enfantine. Un nouveau talisman ?…
— Oui, madame, dit gravement Ruggieri. J’ai pensé qu’en ces effrayantes conjonctures, Votre Majesté ne saurait être assez protégée contre les maléfices et le mauvais sort. Je tenais ce talisman en réserve pour quelque suprême occasion ; je vous l’offre… il vous sera d’un grand secours.
— Ah ! René, tu me sauves !
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