La Fausta
bras et murmura sourdement :
— Elle a un visage qui me fait trop souffrir… qui me rappelle trop de choses… ne me parlez jamais d’elle… jamais !
Alors elle se remit en marche. Et Pardaillan comprit qu’en effet, il ne pourrait tirer aucun renseignement de la folle.
Ils arrivèrent enfin sur le haut de la colline. Là s’élevait l’abbaye des bénédictines qui, à cette époque, était presque en ruine, tant les nonnes qui l’habitaient mettaient peu de soin à entretenir ce couvent jadis très riche, mais qui, en pleine décadence, n’avait plus guère alors qu’un revenu de deux mille livres.
Pardaillan se demandait jusqu’où la fantaisie de la folle allait l’entraîner. Il ne voulait et ne pouvait s’écarter de Paris. D’autre part, il eût éprouvé un remords à abandonner cette malheureuse toute seule en pleine campagne. S’il pouvait la décider à demander l’hospitalité dans le couvent ! Non seulement, lui pourrait tranquillement regarder Paris, mais encore il saurait où retrouver cette femme pour l’interroger en des circonstances plus propices…
— Madame, dit-il alors, vous voici hors Paris.
— Oui, dit la bohémienne ici je respire. Ici j’étouffe moins sous le poids des pensées qui, là-bas, tourbillonnaient autour de ma tête comme des oiseaux funèbres… Pensées de folie, sans doute. Que suis-je ?… Saïzuma, pas autre chose. Je suis Saïzuma. Voulez-vous que je vous dise la bonne aventure ? Qui êtes-vous ?…
— Un homme qui passe. Vous avez vos douleurs. J’ai les miennes… Un ami, si vous voulez.
— Un ami ?… Qui peut être l’ami de la bohémienne… de la maudite ?
— Celui qui a pitié, madame, parce qu’il a souffert, jadis, il y a longtemps, c’est vrai, mais qui se souvient.
— Oui, votre voix me calme et me berce. Je sens, je devine que votre cœur n’est pas un cœur d’homme, car tous les hommes portent en eux la cruauté… Qui êtes-vous ? Un brave, certes ! Comme vous avez saisi ce monstre, là-bas, dans la triste auberge ! Comme vous l’avez puissamment jeté sur les loups qui hurlaient ! Votre main ! Je veux voir votre main ?
Pardaillan offrit sa main à la diseuse de bonne aventure. C’était un esprit lucide, comme on a pu voir. Mais il était de son temps. Et ce ne fut pas sans quelque émotion secrète qu’il attendit la sentence de la bohémienne. Saïzuma hochait la tête.
— Si j’aimais un homme, dit-elle, moi qui n’aime pas, qui n’ai jamais aimé, et qui n’aimerai jamais, si j’aimais un homme, je voudrais qu’il eût une main pareille à la vôtre. Vous êtes gueux, peut-être, et vous êtes prince parmi les princes. Je vous plains, et je ne vous plains pas. Vous portez en vous le malheur, et vous semez autour de vous le bonheur…
Saïzuma laissa retomber la main de Pardaillan.
« Par Pilate ! songea le chevalier qui se secoua. Je porte en moi le malheur ?… Ouais ! C’est ce qu’il faudra voir. Voyons, pauvre femme, reprit-il, puisque vous paraissez me témoigner quelque confiance, voici une maison où c’est un devoir d’accorder l’hospitalité à ceux qui sont errants et vagabonds par le monde. Croyez-moi : il faut vous y reposer deux ou trois jours. Et puis, je viendrai vous chercher. »
— Vraiment ?… Vous me viendrez chercher ?
— Je vous le promets. Il est difficile de vous oublier, quand une fois on vous a vue, si toutefois cela peut s’appeler vous avoir vue, puisque votre visage est toujours masqué.
— Alors je consens à m’arrêter ici, dit Saïzuma, qui parut n’avoir pas entendu cette allusion à son masque rouge.
Le chevalier, craignant que la folle ne revînt bientôt sur sa détermination, s’empressa d’aller agiter la grosse cloche du couvent, opération qu’il dut répéter à diverses reprises avant que la porte ne s’ouvrît. Une femme parut, qui ne portait pas le costume de religieuse et qui, apercevant un gentilhomme de bonne mine, eut un étrange sourire et fit un geste comme pour l’inviter à entrer.
— Pardon, dit le chevalier étonné, c’est bien ici l’abbaye des bénédictines de Montmartre ? Je ne me trompe pas ?
— Vous ne vous trompez pas, monsieur, dit la femme. C’est bien ici le couvent des bénédictines que dirige très haute et puissante dame Claudine de Beauvilliers, notre sainte abbesse…
— L’abbesse Claudine de Beauvilliers ? fit Pardaillan, à qui ce nom était parfaitement inconnu.
Weitere Kostenlose Bücher