La Fausta
l’entretien de Catherine de Médicis et du duc de Guise !
— Vous savez tant de choses, madame, que je ne m’étonnerais pas…
— Si je vous disais que la vieille Florentine, pétrie d’astuce, a joué votre frère !…
— Comment cela, madame ?
— Si je vous disais enfin que le duc a promis d’attendre patiemment la mort d’Henri III !…
— Oh ! madame, ce serait là une affreuse trahison de mon frère envers la Ligue et envers sa famille !
— Ce n’est pas une trahison, c’est un acte de diplomatie. Soldat, homme d’épée et de violence, Guise a voulu jouer au diplomate. Il y est enferré : Guise, pendant au moins une année, ne tentera rien contre Henri III.
— Alors… fit la duchesse de Montpensier dont le joli visage se convulsa, mais alors… ma vengeance m’échappe, à moi !…
— Non, si vous savez vouloir, si vous avez confiance en moi, si vous m’écoutez…
— Ma confiance en vous est sans borne, madame. Qui êtes-vous ? Je le sais à peine. Ce que vous voulez, je n’ose le sonder. Et pourtant vous êtes ma reine, ma vraie souveraine. Parlez donc, car je suis décidée à tout pour frapper Henri de Valois.
La Fausta parut réfléchir quelques minutes. Alors, avec cette voix d’étrange et pénétrante douceur qui lui donnait une si grande force de persuasion :
— Marie, dit-elle, vous êtes la forte tête de votre famille. C’est grâce à vous que les Valois s’éteindront et que la dynastie des Guise montera sur le trône. De vos trois frères, l’un, Mayenne, est trop gras pour avoir de l’esprit ; il vendrait son âme pour un bon pâté ; l’autre, le cardinal, est un soudard brutal qui ne peut pas coudre deux idées ensemble ; le troisième, enfin, le duc, est stupide d’amour ; cette passion pour une malheureuse bohémienne le rend incapable de conseil et d’action. Quant à votre mère, elle en est encore à Poltrot de Méré. C’est une noble créature, mais qui depuis l’assassinat de son mari, se figure par trop que l’univers ne doit avoir d’autre but que d’occire les huguenots… Vous seule, mon enfant, vous savez tout voir et tout comprendre. La situation est dangereuse. Voulez-vous tout sauver d’un coup ?…
— Je suis prête, madame… ordonnez… que faut-il ?…
— Il faut, dit Fausta, qu’Henri de Valois meure. C’est très joli de le vouloir tondre, et vous avez une grâce infinie à agiter vos ciseaux d’or. Mais si Henri III ne meurt pas, c’est une affreuse catastrophe que vous préparera Catherine de Médicis.
La jolie duchesse écoutait en frissonnant cette femme si belle qui parlait de meurtre, comme elle eût, elle, parlé d’un bijou. La Fausta parut méditer encore. Et cette méditation, bien que son visage demeurât pur et serein, devait sembler terrible à Marie de Montpensier, car elle n’osa l’interrompre.
— Comprenez-vous bien, reprit tout à coup Fausta, qu’Henri de Valois est condamné…
— A mourir, madame, demanda sourdement la duchesse.
— Oui, dit Fausta glaciale, je le condamne à mort.
— Et qui sera l’exécuteur, madame ? balbutia la duchesse.
— Vous ! répondit Fausta.
La duchesse de Montpensier pâlit.
— Voici la situation, dit froidement Fausta. Henri de Guise a juré à la Médicis d’attendre patiemment la mort d’Henri III. A ce prix, on lui a promis que le roi le désignerait pour son successeur. Valois peut vivre dix ans, vingt ans, malgré toutes les apparences. Et ne vécût-il même que quelques mois, c’en est assez. La vieille reine saura mettre ce temps à profit et fomentera la destruction des Guise comme elle a fomenté la destruction des Châtillon. Choisissez donc : ou de tuer, ou d’être tuée…
La belle duchesse frissonna.
— Il faut agir, continua âprement Fausta. Les temps sont révolus. Si vous reculez maintenant, prenez garde, vous allez tomber.
— Tuer ! murmura Montpensier, tuer de mes mains ! Oh ! je n’aurai jamais ce courage…
— Valois aura donc le courage de faire rouler votre belle tête sous la hache du bourreau ! Insensée ! Famille d’insensés qui ne veut pas voir ! Vous en avez trop fait, tous, pour que vous puissiez espérer l’oubli, lors même que vous renonceriez à vos prétentions. C’est un duel à mort que vous avez engagé. Si Henri III et la Médicis ne meurent pas, c’est la famille des Guise qui va s’éteindre dans quelque terrible aventure. Adieu, ma mignonne, allez
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