La fée Morgane
que nous avons perdus ! » Elle serra Galessin dans ses bras et
lui donna un baiser.
Mais ce que Morgane ignorait, c’est qu’au même moment Saraïde,
la compagne et disciple de la Dame du Lac, arrivait en vue du château de la
Charrette, montée sur un cheval blanc, vêtue d’une robe blanche et d’un manteau
orné d’or rouge. Parvenue au sommet d’un tertre, elle arrêta son coursier et
regarda le château. « C’est donc là », murmura-t-elle. Elle mit pied
à terre et leva sa main droite en s’écriant : « Par le ciel et par la
terre, par le soleil et par le vent, au nom de ma maîtresse, la Dame du Lac, que
justice soit faite. Je veux que tous les êtres qui résident dans ce château soient
frappés d’un lourd sommeil ! » Elle répéta deux fois son incantation
puis, sans prendre la peine de remonter en selle, en tirant le cheval par le
licol, elle se dirigea vers la porte. D’un seul geste, elle l’ouvrit et pénétra
à l’intérieur du château. Elle vit des servantes et des valets allongés à même
le sol qui dormaient profondément. Elle arpenta des corridors, poussa des
portes, les referma, puis se décida à descendre un escalier qui menait vers les
profondeurs.
Allongé sur son lit, dans la chambre fortifiée dans laquelle
il se morfondait depuis tant de semaines, Lancelot était lui aussi en proie à
un lourd sommeil peuplé de rêves étranges. Il voyait un oiseau blanc qui
tournoyait au-dessus de la forêt, poursuivant un oiseau noir qui venait d’apparaître
à l’horizon. Il n’eut pas le temps d’en savoir davantage, car il sentit qu’une
main se posait sur lui et lui secouait le bras. Agacé, car il pensait que c’était
Morgane qui venait le narguer, il se retourna sur le ventre et se cacha le
visage sous la couverture. « Lancelot ! dit alors une voix douce, Lancelot !
Réveille-toi ! » Il sursauta, bondit hors du lit et regarda l’être
qui lui parlait ainsi. La lumière était faible dans cette chambre, mais il ne
fut pas long à la reconnaître. « Saraïde ! s’écria-t-il.
— Oui, Beau Trouvé, dit-elle, c’est bien moi, Saraïde, celle
qui t’a vu grandir dans le palais de la Dame du Lac, ma maîtresse. Je viens te
libérer. Suis-moi. » Sans répondre, Lancelot accompagna Saraïde dans les
couloirs. Comme il n’avait guère eu l’occasion de faire de l’exercice depuis
longtemps, il marchait avec difficulté, et Saraïde le tenait par la main. Elle
le mena dans la cour où elle choisit un cheval tout sellé qui paraissait le
meilleur. Puis elle le précéda dans la salle où se trouvaient rangées les armes
et elle l’en revêtit. Après quoi, sans que personne se fût réveillé dans le
château, ils se retrouvèrent dehors, à l’air libre.
Ils montèrent tous deux sur leurs chevaux. « Comment m’acquitter
de mes dettes envers ta maîtresse et envers toi, Saraïde ? dit Lancelot. Je
dois tout à la Dame du Lac ; quant à toi, je ne sais pas comment te
manifester ma reconnaissance : tu t’es toujours trouvée là au moment où je
sombrais dans le désespoir ! » Saraïde se mit à rire. « Tout
cela n’est rien, dit-elle, et il vaut mieux ne pas en parler. Mais ne crois pas
que je sois venue te délivrer pour tes beaux yeux, Lancelot. Ma maîtresse a
reçu un étrange message de la part de la reine Guenièvre. Non seulement elle
suppliait la Dame du Lac de rechercher dans quelle prison tu te trouvais, mais
elle s’inquiétait parce que, depuis quelque temps, la plupart des chevaliers d’Arthur
disparaissent les uns après les autres sans qu’on sache ce qu’ils sont devenus.
C’est à toi qu’il appartient de les retrouver, et c’est ainsi que tu paieras ta
dette, envers nous bien sûr, mais aussi envers ton roi et envers la reine. Me
comprends-tu ? »
Quand il apprit que c’était la reine qui avait prévenu la Dame
du Lac de sa disparition, Lancelot en fut ému jusqu’aux larmes. Et l’image de
Guenièvre dansa devant ses yeux, encore plus présente que pendant les longues
semaines où il n’avait surmonté sa captivité qu’en fixant son esprit sur la
femme aimée. « Grâces soient rendues à la reine Guenièvre, murmura-t-il
enfin. Je te le jure, Saraïde, et tu pourras le dire à ta maîtresse : il n’y
a rien au monde que je ne tenterai pour retrouver les compagnons d’Arthur !
– Mais comment feras-tu ? demanda Saraïde. – Je parcourrai tout le royaume,
je sillonnerai toutes les forêts,
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