La fée Morgane
Lancelot
erra ainsi longtemps au fond de la vallée et finit par apercevoir une demeure
plus belle et plus riche que les autres. Son toit était de porphyre, ses
fenêtres de cristal, ses murs de pierre noire et brillante, avec des reflets d’améthyste.
Sur le seuil de cette maison royale, immobile et droite dans une longue robe
rouge brodée d’or, les cheveux dénoués, une femme semblait attendre. Ce fut
vers elle que se dirigea Lancelot.
« Eh bien ! dit la dame en le voyant approcher, viens-tu
te joindre à nos plaisirs, ô Lancelot du Lac, toi le plus beau fleuron de la
chevalerie ? » Lancelot s’arrêta devant elle. Elle souriait, mais ses
yeux lançaient des flammes étranges. « Qui que tu sois, femme, répondit
Lancelot, tu dois savoir que je suis venu ici pour que cessent les effets du
sortilège, pour que tous ceux qui sont ici, endormis dans leurs rêves de folie,
reprennent conscience ! » Le visage de la femme se tordit. Elle
poussa un ricanement qui se changea bientôt en cri d’angoisse. Stupéfait, Lancelot
ne vit plus à sa place qu’un arbre mort dont les branches, partant d’un tronc
moisi et vermoulu, pendaient de façon grotesque.
Il n’y avait plus de maison, mais des fourrés de ronces et d’ajoncs.
Il se retourna. L’obscurité allait bientôt s’emparer du monde. La lumière
irréelle qui avait tant étonné Lancelot s’était dissipée. Il n’y avait plus de
maisons, plus de danseuses, plus de musiciens : le fond du val n’était
plus qu’une épaisse végétation dans laquelle le vent se mettait à jouer une
mélopée envoûtante. Çà et là des hommes s’interpellaient, subitement réveillés
d’un cauchemar et s’élançaient sur les pentes du val pour fuir au plus vite ces
lieux maudits. Ils se formaient en longues colonnes et, tandis que les chevaux
hennissaient, ils s’éloignaient, criant leur joie de se sentir de nouveau
libres, et gagnaient landes et forêts. Bientôt, le silence fut total et
Lancelot se retrouva seul, immobile, à la même place.
Alors, il se décida à rejoindre son cheval qu’il avait
laissé, tout en haut, près des rochers rouges qu’on discernait à peine
maintenant. Il gravit la pente, lentement, ne rencontrant que des arbustes
rabougris et de grandes touffes d’ajoncs. Arrivé au sommet, il se retourna pour
regarder une dernière fois le val ténébreux dont il avait pu vaincre les
enchantements : tout était calme et paisible. Seuls quelques oiseaux
faisaient entendre le bruissement de leurs ailes. Mais ce bruissement s’enfla
soudain, et Lancelot sentit une présence proche. Il leva son épée. « On ne
frappe pas une femme ! » dit alors une voix surgie tout près de lui, derrière
les rochers.
Il se dirigea vers la voix. Sur un cheval blanc, se tenait
une forme noire, une femme, vêtue d’un long manteau. Lancelot la reconnut
immédiatement : c’était Morgane. « J’aurais dû me douter que c’était
toi la cause des sortilèges ! s’écria-t-il. – Et moi, répondit Morgane, j’aurais
dû prévoir que tu serais le seul à pouvoir détruire mon œuvre ! » Ils
se toisèrent un long moment, silencieusement, avec arrogance. Les yeux de
Morgane étaient aussi insupportables pour Lancelot que les rayons du soleil à l’heure
de midi. Mais il ne voulut pas baisser son regard, et il vit dans ses yeux bien
autre chose que de la haine ou de l’orgueil : beaucoup de souffrance.
« Lancelot, dit-elle alors, tu es le seul homme que je
connaisse qui puisse se faire tuer pour rester fidèle à une femme. Par malheur,
celle que tu aimes, ce n’est pas moi. Que me reproches-tu, Lancelot du Lac ?
Me trouves-tu trop vieille et trop laide pour toi ? – N’en crois rien, répondit
Lancelot, tu es très belle et ta jeunesse est étincelante. Les années n’ont pas
de prise sur toi. – Alors, pourquoi me rejettes-tu ainsi ? Tous deux, nous
formerions le couple le plus fidèle, le plus uni qui puisse exister, et nous
serions les maîtres du monde. – Tu sais bien que c’est impossible, Morgane. J’aime
une femme, tu as dit vrai. Et cette femme, ce n’est pas toi. Ce sont là choses
qui ne se commandent pas. »
Morgane tremblait. D’une voix rauque, elle dit encore :
« Lancelot, je ne m’avoue pas vaincue. Jamais, je ne m’avouerai vaincue. Va
donc rejoindre ta Guenièvre ! Mais sache que nous nous retrouverons, fils
du roi Ban de Bénoïc ! » Alors elle piqua des deux, son cheval blanc
hennit
Weitere Kostenlose Bücher