La fée Morgane
« Seigneur, dit Gœwin, cherche une jeune fille
vierge pour supporter tes pieds, maintenant, car moi, je suis devenue femme. – Que
veux-tu dire ? demanda Math. – On m’a agressée, seigneur, et cela en
cachette de toi, pendant que tu étais parti à la guerre. Quand on m’a assaillie,
je ne suis pas restée silencieuse : il n’y a personne à la cour qui n’en
ait eu connaissance, et tu peux interroger qui tu voudras à ce sujet. L’attaque
est venue de deux de tes neveux, fils de ta sœur, Gwyzion et Girflet, les fils
de Dôn, pour lesquels tu as pourtant tant d’affection et d’estime. Ils m’ont
fait violence et ils ont apporté la honte sur toi. On a couché avec moi, et
cela dans ta chambre et dans ton propre lit. » Math, rouge de colère, demanda
à ses serviteurs où se trouvaient ses neveux. « Ils accomplissent le tour
de Gwyned, lui répondit-on. – Fort bien, dit Math, ils ne perdront rien pour
attendre. Quant à toi, Gœwin, je ferai de mon mieux pour réparer l’outrage que
tu as subi. D’abord, tu obtiendras des compensations de ceux qui t’ont violentée ;
ensuite, je prendrai moi-même le prix de la honte qu’ils ont étendue sur moi. Enfin,
pour que personne n’ait rien à dire sur ton attitude, je te prendrai comme
femme et remettrai entre tes mains la propriété de mes États. »
Ainsi parla Math, fils de Mathonwy. Cependant, les deux fils
de Dôn n’étaient pas pressés de regagner la cour. Ils continuaient à circuler à
travers le pays et toutes les occasions étaient bonnes pour leur permettre de s’éloigner
de Kaer Dathyl. Ils s’en tinrent à l’écart jusqu’au moment où il fut interdit
de leur donner nourriture ou boisson. C’est seulement à ce moment qu’ils
revinrent à Kaer Dathyl et se rendirent auprès de Math. « Seigneur, dirent-ils,
bonjour à toi et que la bénédiction de Dieu s’étende sur tes domaines ! – Je
prends acte de vos souhaits, répondit Math. Mais est-ce pour me donner
satisfaction que vous êtes venus jusqu’à moi ? – Seigneur, dirent-ils, nous
sommes prêts à obéir à tout ce que tu nous ordonneras. – S’il en avait toujours
été ainsi, je n’aurais pas perdu tant d’hommes et de chevaux dans des combats
inutiles. Quant à ma honte, vous ne pouvez pas la réparer, sans parler de la
mort de Pwyll, contre qui je n’avais personnellement aucune animosité. Puisque
vous êtes venus vous mettre à ma disposition, il est normal que j’entreprenne
votre châtiment ! »
Math prit alors sa baguette enchantée et la brandit en direction
de Girflet et de Gwyzion. D’un seul coup, il transforma Girflet en une biche de
bonne taille, puis immédiatement après, il prévint toute fuite de la part de
Gwyzion en le frappant de la même baguette et en fit un cerf avec des bois
majestueux. « Comme vous êtes maintenant liés, dit Math, vous irez ensemble
errer dans les forêts et vous formerez un couple. Vous aurez les instincts des
animaux dont vous avez la forme. À l’époque qui conviendra, vous vous unirez, et
il naîtra de cette union un petit que vous conduirez avec vous. Dans six mois, vous
reviendrez auprès de moi. »
Au bout de six mois, jour pour jour, on entendit un grand
bruit contre les parois de la chambre, ce qui excita aussitôt les aboiements
des chiens. « Allez voir, dit Math à ses serviteurs, ce qui se passe
au-dehors. » Les serviteurs sortirent de la chambre. L’un d’eux revint aussitôt :
« Il y a là, dit-il, un cerf, une biche et un faon. » Math se leva d’un
bond et sortit. Il aperçut en effet les trois animaux, le faon paraissant bien
vigoureux pour son âge. Il leva sa baguette et dit : « Que celui d’entre
vous qui, pendant une année, a été biche, soit sanglier dès ce jour, et que le
cerf devienne une truie. » Et il les frappa de sa baguette. Aussitôt, ils
furent changés en sanglier et en truie. Math dit encore : « Le petit,
je le garde et je m’en occuperai. Je le ferai baptiser et élever. » On lui
donna en effet le nom de Hyddwn, ce qui signifie « petit cerf ».
« Allez, dit-il enfin. Vous serez l’un sanglier mâle et l’autre sanglier
femelle. Vous aurez les mêmes instincts que les porcs qui vivent dans les bois.
Mais, dans six mois, trouvez-vous sous les murs de cette maison avec le petit
qui vous sera né. »
Six mois s’écoulèrent. Les aboiements des chiens se firent entendre
sous les murs de la chambre qu’occupait Math, fils de
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