La fée Morgane
bien,
dit-elle, portez la mesure de mon pied à ce cordonnier et demandez-lui de me
fabriquer des souliers. Dites-lui également que je les lui paierai un bon prix. »
Aussitôt le message reçu, Gwyzion façonna les souliers, mais pas d’après la
mesure qu’on lui avait donnée : il les fit plus longs. On apporta les
souliers à Arianrod et celle-ci s’aperçut bien vite qu’ils étaient trop grands
pour elle. « Ils ne sont pas à ma taille, dit-elle. Allez trouver ce
cordonnier, assurez-le que je les lui paierai comme je l’ai promis, mais
demandez-lui de m’en faire une paire, tout à fait semblable, mais beaucoup plus
petite. »
On transmit le message à Gwyzion. Or, au lieu de se conformer
à la mesure qu’on lui avait fournie, il fabriqua une paire beaucoup trop petite
pour son pied et la lui envoya. « Dites-lui que ceux-ci ne me vont pas non
plus. » On rapporta les paroles d’Arianrod à Gwyzion. Il se mit en colère.
« Si votre maîtresse veut des souliers à sa taille, elle n’a qu’à venir
elle-même. Je ne ferai pas de souliers avant d’avoir vu son pied et d’en avoir
pris les mesures moi-même. – C’est bien, dit Arianrod après avoir pris
connaissance du message, je vais donc aller vers lui. Mais malheur à lui s’il
se trompe une nouvelle fois ! » Elle sortit de la forteresse, marcha
sur le sable et monta sur le navire. Gwyzion était en train de tailler le cuir
et le jeune garçon de coudre. « Princesse, dit-il, je te souhaite la
bienvenue à bord de mon navire. – Dieu te donne bonheur et prospérité, répondit-elle,
mais permets-moi de m’étonner que tu ne puisses arriver à fabriquer des
souliers à ma mesure exacte. – C’est vrai, j’en suis surpris également. Mais, maintenant,
je vais pouvoir les faire. » À ce moment, un roitelet frôla le pont du
navire et s’élança vers la mâture. L’enfant lui lança un coup qui le toucha
entre l’os et le nerf de la patte. Arianrod se mit à rire. « En vérité, dit-elle,
c’est d’une main bien sûre que le petit a
atteint cet oiseau ! – Eh bien, dit Gwyzion, voilà qui est parfait. À
présent, cet enfant a un nom sans que nous ayons à prier Dieu de t’en
récompenser. C’est toi-même qui le lui as donné, et il n’est pas mauvais. Désormais,
il sera appelé Lleu Llaw Gyffes (« le
petit à la main sûre »), et tu ne peux pas le nier puisque tu viens de le
nommer ainsi. » À peine avait-il fini de parler que tout ce qu’il avait
transformé par ses enchantements redevint algues et goémon, et il n’eut pas
besoin de continuer plus longtemps le travail qu’il avait entrepris. Quant à
ses traits et à ceux de l’enfant, ils reprirent également leur aspect naturel. Arianrod
reconnut alors son frère et s’écria d’une voix pleine de colère : « En
vérité, tu ne sais pas quoi faire pour te montrer méchant envers moi ! – Je
n’ai pas été méchant, répondit Gwyzion, je n’ai fait que suivre tes directives :
tu avais dit que cet enfant n’aurait pas de nom sauf si toi-même lui en donnais
un. C’est chose faite à présent, et nous n’avons plus rien à faire ici. – Tu ne
t’en tireras pas comme cela ! hurla Arianrod. Puisque c’est ainsi, je jure
que cet enfant aura pour destinée de n’avoir point d’armure avant que je l’en
revête moi-même ! – Par Dieu tout-puissant, dit Gwyzion, tu es une
mauvaise femme qui ne veut pas reconnaître son enfant. Mais sois tranquille :
tu peux être aussi perverse que tu voudras, il aura quand même des armes quand
il le faudra ! »
Gwyzion et l’enfant, qui portait maintenant le nom de Lleu, se
rendirent à une forteresse, près de Caernarvon. Gwyzion y éduqua l’enfant jusqu’à
ce qu’il fût capable de monter n’importe quel cheval et qu’il eût atteint son
complet développement de corps, de taille et de visage. Mais Lleu demeurait
triste et taciturne. Gwyzion comprit qu’il était humilié de ne pas avoir de
cheval ni d’armes. Il l’appela auprès de lui et lui dit : « Mon garçon,
nous irons en expédition demain, toi et moi. Sois donc plus joyeux que tu ne l’es.
– Je le serai », répondit le jeune homme.
Le lendemain, à l’aube, ils se levèrent et partirent en
suivant la côte. Arrivés en haut d’une colline, ils s’équipèrent et, grâce aux
enchantements de Gwyzion, ils changèrent les traits de leur visage. Puis, sous
l’aspect de deux jeunes gens, ils se présentèrent à
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