La fée Morgane
donna un
cheval très souple et très rapide. Et Girflet s’en alla de Kaer Dathyl avec la
ferme intention de ne jamais y revenir, tant la honte qu’il avait endurée au
cours des précédents dix-huit mois lui paraissait insupportable.
Gwyzion, lui, ne semblait pas avoir autant de scrupules. Il
se trouvait très à l’aise au milieu des gens qui entouraient Math. Mais il n’avait
pas oublié l’enfant qu’il avait dissimulé dans le coffre. Profitant d’un moment
où il n’y avait personne dans la chambre, il y entra et entendit des cris, juste
assez forts pour n’être entendus que de lui. Il souleva le couvercle du coffre
et aperçut un petit garçon qui remuait les bras, au milieu du manteau. Sans
plus s’attarder, il prit l’enfant et se rendit en ville, dans un endroit où il
savait pouvoir rencontrer une femme capable de l’allaiter. L’ayant trouvée, il
conclut un marché avec elle pour qu’elle consentît à nourrir l’enfant et il en
fut ainsi pendant une année. Au bout de ce temps, il était d’une taille qui eût
paru forte même pour un enfant de deux ans. À la fin de la seconde année, c’était
un grand garçon capable d’aller seul à la cour. Quand il y fut, Gwyzion veilla
sur lui avec beaucoup d’attention, prenant grande peine à l’éduquer selon les
règles en usage. L’enfant se familiarisait avec Gwyzion et paraissait l’aimer
comme si c’était son père [28] . Il fut ainsi élevé à la
cour jusqu’à l’âge de quatre ans. Mais à cette époque, il avait déjà l’allure d’un
garçon de huit ans.
Un jour, le jeune garçon alla se promener, en compagnie de
Gwyzion, sur le rivage. Puis ils se rendirent à Kaer Arianrod, la forteresse où
résidait la sœur de Gwyzion et qui se dressait sur un promontoire. En voyant
entrer son frère, Arianrod se leva pour aller à sa rencontre, lui souhaita la
bienvenue et lui demanda de ses nouvelles. « Dieu te donne bonheur et
prospérité ! » dit-il. Elle regardait attentivement le garçon.
« Qui est donc cet enfant qui te suit et qui m’a l’air très attaché à toi ?
– Cet enfant, c’est ton fils », répondit Gwyzion. Arianrod se mit en
colère et s’écria : « Homme ! quelle idée t’a pris de venir m’outrager
ainsi, de poursuivre et de maintenir aussi longtemps mon déshonneur ? – Si
tu n’as pas d’autre déshonneur que celui de voir nourrir et élever un enfant
aussi beau que celui-ci, ce sera, en vérité, peu de chose ! – Quel est le
nom de ton fils ? – Il n’en a pas encore. – Fort bien ! dit Arianrod.
Je jure que telle sera sa destinée : il n’aura pas de nom avant d’en avoir
reçu un de moi ! – J’en atteste Dieu, Arianrod, tu es une femme de rien !
Tu ne veux pas admettre ce qui est ! Je te promets que l’enfant aura un
nom quand bien même tu le trouverais mauvais. Mais, toi, tu ne retrouveras
jamais le nom que tu es si furieuse d’avoir perdu, celui de vierge. »
Après avoir prononcé ces paroles, il sortit, furieux, de la forteresse et
retourna a Kaer Dathyl ou il passa la nuit.
Le lendemain, il se leva, prit l’enfant avec lui et alla se
promener sur les bords de la mer entre l’océan et l’Aber Menai [29] .
Il fit apparaître, grâce à ses enchantements, un navire à l’aperçu des algues
et du goémon : il transforma les algues et le goémon en cuir, et cela en
grande quantité. Il lui donna de telles couleurs qu’il n’aurait pas été
possible de voir de si beau cuir, aussi finement décoré et ouvragé. Il mit
ensuite le navire à la voile et se rendit, avec l’enfant, à la porte de la forteresse
d’Arianrod. Là, il descendit sur le rivage, à l’entrée du promontoire, et se
mit à façonner des souliers et à les coudre. On ne tarda pas à le remarquer de
l’intérieur de la forteresse. Aussitôt qu’il s’aperçut qu’on le regardait, il
changea ses traits et ceux de l’enfant afin qu’on ne pût les reconnaître. Puis,
sans se presser, il remonta à bord du navire. « Quels hommes se trouvent
sur ce bateau ? demanda Arianrod. – Ce sont des cordonniers, lui fut-il
répondu. – Allez donc voir quelle sorte de cuir ils ont et de quelle façon ils
travaillent », demanda Arianrod à ses serviteurs.
Ils sortirent de la forteresse et montèrent à bord du navire.
Ils trouvèrent Gwyzion en train de colorer le cuir et d’y incruster de l’or. Les
messagers allèrent rapporter ce qu’ils avaient vu à Arianrod. « Fort
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