La fée Morgane
put et se retrouva dehors. Là, sans perdre un
instant, il se jeta sur l’un des maudits et le renversa, le roulant sur le sol
comme une pelote. Il en avait à peine fini avec celui-là qu’il se rua sur l’autre.
Pour l’éviter, le maudit bondit sur le côté, mais Yvain, qui le guettait, leva
son épée et lui trancha la tête d’un seul coup. Il revint alors vers celui qui
gisait sur le sol. Le maudit était fort mal en point, avec une épaule arrachée
et du sang qui coulait en abondance de toutes ses plaies. « Avoue-toi
vaincu ! s’écria Yvain en le menaçant de son épée. – Je le reconnais, répondit
l’autre, je suis vaincu malgré moi ! – Alors, tu n’as plus rien à craindre
de moi, ni de mon lion. » Et Yvain, l’abandonnant à son sort, retourna
vers le château. Il y fut accueilli avec une joie indescriptible. Le seigneur
et sa femme s’empressèrent auprès de lui et lui dirent en lui donnant l’accolade :
« Seigneur, tu seras notre fils à présent, puisque tu auras notre fille
pour épouse ! – Je ne la prendrai pas, répondit Yvain. Je ne refuse pas
par dédain, car c’est la plus jolie fille de tout le pays. Mais je ne peux ni
ne dois la prendre. Mais, en revanche, s’il te plaît, fais en sorte que les
captives soient toutes libérées. Les conditions sont remplies pour qu’elles
puissent sortir d’ici. – En effet, dit le maître de Pesme Aventure, je te les
dois, et elles seront libres dès aujourd’hui. Je m’y engage solennellement. Mais
daigne prendre ma fille avec tout ce qu’elle possède. Elle est belle, douce et
sage. Que te faut-il de plus ? – Seigneur, répondit Yvain, tu ne
comprendrais pas. Tu ignores tout de mes affaires, et tu ne sais même pas mon
nom. On me connaît comme étant le Chevalier au Lion ,
c’est bien suffisant ainsi. Mais sache que si je refuse ta fille, c’est qu’il
ne peut en être autrement. Maintenant, il faut que je parte. » Et en
disant cela, Yvain ôtait ce qui lui restait de son armure. « Tu ne partiras
que si je l’ordonne, s’écria tout à coup le maître du château. Si tu refuses ma
fille, jamais la porte de la forteresse ne s’ouvrira pour toi et tu resteras en
ma prison. Tu me fais injure mortelle en dédaignant ma fille que je t’offre. – Loin
de moi la pensée de t’offenser, répliqua Yvain. Je te répète que je ne peux
prendre femme ni demeurer ici. – Alors, tu devras mourir ! » cria le
père. Il sortit un poignard qu’il brandit vers la poitrine d’Yvain qui ne
broncha pas. L’autre appuya le poignard, mais la lame heurta le talisman que
Morgane avait remis à Yvain. Subitement, le maître du château se figea dans une
totale immobilité. Et, regardant autour de lui, Yvain s’aperçut que tous ceux
qui l’entouraient se trouvaient dans la même attitude. Seuls, lui, son lion et
son cheval semblaient encore vivants. Yvain ne prit pas le temps de réfléchir
plus longuement. Il sauta sur son cheval noir et, suivi joyeusement par le lion,
se mit à galoper sur la lande en direction de la forêt. Il ne se retourna point
pour regarder une dernière fois les murailles et les tours de l’étrange
forteresse de Pesme Aventure.
Il se retrouva bientôt dans la clairière, près de la
fontaine. Son cheval paissait paisiblement l’herbe grasse, et le lion, couché
comme un chien, dormait au pied d’un arbre. La mélancolie s’empara une nouvelle
fois d’Yvain. Certes, puisqu’il avait été renié par la femme qu’il aimait, il
aurait pu accepter la jeune fille qu’on lui avait proposée. Mais il savait qu’il
n’aurait jamais été heureux, qu’il n’aurait jamais retrouvé la paix dans son
âme. Il savait qu’il n’aimait qu’une seule femme, Laudine de Landuc, et que
rien ne pourrait affaiblir l’amour qu’il lui portait. Il mit la main à sa
poitrine pour mesurer les battements de son cœur, et, ce faisant, il toucha le
talisman de Morgane. « Certes, pensa-t-il, je ne croyais pas Morgane, mais
c’est bien cela qui m’a sauvé la vie lorsque le père de la jeune fille a voulu
me tuer. Ce n’est pas les deux maudits démons que je devais craindre le plus, mais
un père outragé, et cela, Morgane le savait. Désormais, je serai son fidèle
chevalier et je la servirai de mon mieux si elle a besoin de moi. » Et, tout
à coup, il pensa à ce que Morgane lui avait dit : Luned était une de ses
disciples, et c’est sur son ordre à elle que Luned avait agi, pour le sauver
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