La fée Morgane
d’un grand cerf roux. On découpla les
chiens et les veneurs coururent par-devant. Guigemer les suivait à distance, un
valet lui portant son arc, son couteau de chasse et son carquois. Tout en chevauchant,
il cherchait un gibier sur lequel il aurait pu lancer ses flèches. Mais le
bruit que faisait tout ce monde éloignait les animaux, et Guigemer se sépara de
ses compagnons pour mieux débusquer une proie. Il alla tant qu’il sortit de la
forêt et se trouva sur une grande lande fleurie qu’il traversa rapidement. De l’autre
côté, sur le flanc d’une montagne, une autre forêt, très ombragée, s’offrit à
ses regards. « Voici qui me convient, se dit-il. Ici, je pourrai chasser
tout à loisir. »
Il s’engagea dans le bois. Dans l’épaisseur d’un grand buisson,
il vit une biche et son faon qui s’enfuyaient silencieusement à son approche. C’était
une bête toute blanche, qui avait sur la tête les bois d’un cerf. Sans hésiter,
Guigemer tendit son arc et tira. La flèche atteignit la biche au sabot de
devant. La bête s’abattit aussitôt, mais, chose merveilleuse et incroyable, la
flèche revint en arrière, vola à travers les airs et vint frapper Guigemer à
travers la cuisse, lui causant une intolérable souffrance et l’obligeant à
descendre de son cheval. Il s’écroula sur l’herbe verte, perdant son sang en
abondance. Quant à la biche, elle était si cruellement blessée qu’elle geignait.
Et voici qu’elle se mit à parler d’une voix humaine : « Tu m’as tuée,
homme maudit, tu m’as causé une blessure qui me sera fatale ! Mais toi, vassal,
qui m’as ainsi blessée, tu n’auras jamais remède à ta blessure, ni par herbe, ni
par art de médecine, ni par incantation. Tu souffriras sans que personne puisse
venir à ton aide, jusqu’à ce que tu découvres celle qui te guérira, celle qui
souffrira pour toi les pires tourments de l’amour que jamais aucune femme ne
connut. Et toi-même, tu souffriras encore plus de ton amour que de ta blessure,
à tel point que tu feras l’émerveillement de tous ceux qui ont aimé, qui aiment
et qui aimeront. Va-t’en d’ici, maudit chasseur ! Laisse-moi en paix ! »
Guigemer se redressa péniblement et eut bien du mal à se
remettre en selle. Il s’éloigna en pensant à ce qu’il venait d’entendre et qui
l’effrayait tant. Jamais il n’avait rencontré une femme dont il eût souhaité
obtenir l’amour. Si les paroles qu’avait prononcées la biche étaient vraies, il
ne lui restait plus qu’à mourir, car jamais il ne trouverait une femme qui pût
souffrir d’amour pour lui plus que toutes les autres femmes du monde. Et
pourtant, il n’avait aucune envie de mourir. Il appela son valet : « Ami,
éperonne ton cheval ! Dis à mes compagnons de revenir au plus tôt ! »
Le valet partit à grande allure et Guigemer demeura seul. Sa plaie était
profonde. En gémissant, il prit un morceau de sa chemise et banda sa cuisse en
serrant bien fort pour éviter que son sang ne coulât. Puis il attendit. Ses
compagnons revinrent avec le valet et s’étonnèrent de ce qui lui était arrivé. On
fit une civière et on le transporta jusqu’à son logis.
Là, on fit venir des médecins, mais ils eurent beau répandre
des onguents sur la blessure, celle-ci ne se fermait pas et la souffrance qu’endurait
Guigemer ne s’atténuait pas. Quelques jours plus tard, voyant que rien n’y
faisait, Guigemer demanda à l’un des écuyers d’aller trouver la reine Morgane. Il
savait qu’elle était savante en l’art de magie et en toutes sortes de médecines.
Peut-être trouverait-elle le moyen de le guérir.
Quand elle fut prévenue, Morgane vint à son chevet. Elle
examina la blessure et se fit expliquer par Guigemer comment une telle chose
avait pu se produire. Il lui raconta tout par le détail, lui répétant les
paroles prononcées par la biche blessée. « Certes, dit Morgane, te voici
sous le coup d’un sortilège. Ce n’est pas une biche que tu as ainsi blessée, tu
t’en doutes bien. Et c’est pour cela que sa vengeance est inéluctable [38] .
Mais la malédiction est trop précise pour que j’y puisse quelque chose. Seule, une
femme qui t’aimera et qui souffrira de son amour plus qu’aucune autre femme au
monde peut guérir ta blessure. Il ne te reste plus qu’à la trouver. Voici ce
que tu vas faire : sans rien dire à personne, et sans te faire accompagner,
tu t’en iras, demain matin, jusqu’au
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