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La fée Morgane

La fée Morgane

Titel: La fée Morgane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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Yvain, c’est bien ce que je vais faire. »
    Il chercha la porte du préau. Une fois qu’il fut à l’intérieur,
il se trouva au milieu des jeunes filles en pleurs. « Dieu veuille, dit-il,
que ce chagrin qui est le vôtre, et dont j’ignore la cause, se change bientôt
en joie et liesse ! – Seigneur, que Dieu que tu as invoqué veuille bien t’entendre,
dit l’une des jeunes filles. Si tu le désires, je peux te raconter pourquoi
nous sommes là, ce que nous y faisons et quelle est notre condition. – Parle, jeune
fille, et ne me cache rien des ennuis qui sont les tiens et ceux de tes
compagnes.
    — Seigneur, lui dit la jeune fille, il y a longtemps, le
roi de l’Île-aux-Pucelles entreprit de voyager, afin d’apprendre des choses
nouvelles, à travers les pays du monde. Il alla tant, comme un fou naïf, qu’il
se jeta dans ce péril. Il vint en ce lieu pour notre malheur, car c’est nous, les
captives, qui sommes ici, qui en supportons la honte et les souffrances, bien
que nous ne les ayons certes pas méritées. Sache que toi-même, tu peux t’attendre
à un affront mortel si l’on n’accepte pas ta rançon. Je disais donc que notre
roi vint en ce château, où habitent deux fils de démon : ce n’est pas une
fable, je peux jurer qu’ils sont nés d’une femme et d’un lutin diabolique [35] .
    « Ces deux diables, continua la jeune fille, combattirent
le roi de l’Île-aux-Pucelles, et ce fut pour lui une terrible épreuve car, à l’époque,
il avait à peine dix-huit ans : ils pouvaient le pourfendre aussi
facilement qu’un agneau. Le roi eut grande peur, et il se tira de l’épreuve le
mieux qu’il put, en jurant d’envoyer chaque année, dans cette forteresse, trente
des jeunes filles de son royaume. Il fut tenu quitte pour cette rente. Il fut convenu
par serment que ce tribut durerait jusqu’à la mort des deux démons et que, le
jour seulement où ils seraient vaincus en bataille, le roi serait déchargé de cet
impôt : nous serions alors libérées, nous qui sommes abandonnées à la
honte, à la souffrance, à la misère, au désespoir, et qui sommes privées de
toute joie et de tout plaisir. Mais je dis cela en pure perte, car je sais très
bien que nous ne sortirons jamais d’ici.
    « Toujours nous travaillerons la soie, et jamais nous ne
serons mieux vêtues. Nous serons toujours pauvres et nues et nous aurons
toujours faim et soif. Jamais nous ne saurons gagner assez pour améliorer notre
vie quotidienne. On nous donne du pain avec parcimonie, peu le matin et encore
moins le soir. Pour vivre, chacune de nous n’a que ses mains et le travail qu’elles
peuvent accomplir et, pour cela, on nous paie quatre deniers. Cela ne suffit
pas pour assurer la nourriture et le vêtement, car qui gagne ici vingt sous la
semaine n’est pas pour autant tiré d’affaire et sache bien qu’aucune de nous ne
gagne vingt sous ou plus ! Avec une telle somme, un duc serait riche, mais
ici, nous sommes pauvres, et c’est celui pour qui nous travaillons qui s’enrichit
de notre peine [36] . Nous veillons une
grande partie de la nuit et nous travaillons toute la journée et, lorsque nous
nous arrêtons, on menace de nous mettre à la torture ou de nous tuer. Aussi, nous
n’osons même pas prendre de repos. Que te dirai-je de plus ? Nous sommes
si malheureuses que je ne saurais te raconter le quart de nos souffrances. Mais,
ce qui nous rend folles de douleur, c’est que très souvent, nous voyons des
hommes valeureux et pleins de courage venir combattre les démons qui nous
gardent. Ils payent très cher l’hospitalité qu’on leur accorde. C’est d’ailleurs
ce qui t’arrivera demain, car il te faudra, bon gré, mal gré, combattre tout
seul contre les deux diables incarnés. Et je t’assure que tu y perdras ton nom !
    — Je l’ai déjà perdu, mon nom, dit Yvain avec une
certaine amertume. Mais je répète mon vœu : que Dieu nous rende joie et
honneur, et je jure bien que si je peux vous tirer de votre peine, je le ferai
volontiers. Maintenant, je veux aller voir quelle mine me feront les gens qui
habitent ce château. – Va donc, seigneur, répondit la jeune fille, et que te
protège Celui qui donne et disperse tous les biens de ce monde. »
    Il arriva dans la grande salle et n’y trouva ni bonnes ni mauvaises
gens qui lui fussent de quelque secours. Il poursuivit son chemin et se
retrouva dans un verger. Il aperçut alors, appuyé sur le coude, un homme

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