La fée Morgane
d’un
certain âge qui gisait sur un drap de soie. Une jeune fille se tenait devant
lui et lui racontait une histoire du temps jadis. Pour écouter la conteuse, une
dame était venue également s’accouder. D’après la ressemblance, ce devait être
la mère de la jeune fille, et l’homme d’un certain âge ne pouvait être que son
père. Elle ne paraissait pas avoir plus de dix-sept ans, et elle était si belle
et si douce que le dieu amour eût mis tous ses soins à la servir s’il l’avait
connue, et il ne l’eût fait aimer par un autre que lui-même ; pour obtenir
ses bonnes grâces, il eût plutôt renoncé à sa divinité et se fût changé en
homme.
Quand ils s’aperçurent qu’Yvain était entré dans le verger, tous
ceux qui s’y trouvaient se levèrent et l’entourèrent : « Sois béni, seigneur,
dirent-ils, sois béni en toutes tes entreprises, et que Dieu aide tous ceux que
tu aimes. » Ils étaient tous en grande joie et lui firent très bonne
figure, comme s’ils avaient plaisir à l’héberger. La fille du seigneur le
servit et l’honora, comme on le doit à un hôte de marque. Elle lui ôta son
armure et, de ses belles mains, lui découvrit le visage. Puis elle tira d’un
coffre une chemise ridée et des braies blanches et, prenant du fil et une
aiguille, elle lui cousit les manches. Elle mit ensuite autour de son cou un
manteau de vair et d’écarlate. Yvain était confus de tant d’attentions et ne
savait pas ce qu’il fallait en penser : cela contrastait tellement avec l’hostilité
qu’on lui avait manifestée jusqu’alors.
Quand il fut habillé et paré, Yvain se promena à travers le
verger, et son lion le suivit tranquillement comme s’il avait été un chien
fidèle. Yvain admira les arbres et les fleurs et s’engagea ensuite dans une
courtine d’où il pouvait voir tout le paysage alentour. Il aperçut un vol d’oiseaux
noirs dans le ciel qui semblaient tourbillonner autour de lui. Intrigué, il les
regarda attentivement. L’un des oiseaux plongea et disparut derrière une
échauguette. Quelques instants plus tard, il vit surgir une femme vêtue d’un
grand manteau noir et dont la chevelure brune flottait au vent. La femme s’approcha
de lui et Yvain la reconnut. « Morgane ! s’écria-t-il. Que fais-tu
ici ? – Ne parle pas si fort, répondit-elle. Il est inutile qu’on sache ma
présence ici. Je suis venue t’avertir que tu devras demain affronter le plus
terrible péril auquel tu te sois exposé. – Ne t’inquiète pas pour moi, Morgane,
je me suis tiré de plus mauvais pas et je savais, en venant ici, que je m’exposais
à de grands dangers. Mais peu m’importe, puisque la femme que j’aime m’a rejeté.
Je préfère mourir dignement que de mener une vie de regret et de remords. »
Morgane se mit à rire. « Ce n’est pas encore le moment ! dit-elle. Tu
as mieux à faire que de te morfondre en songeant à la Dame de la Fontaine !
– Tu connais bien des choses, Morgane, tu as beaucoup de pouvoirs, mais tu ne
peux rien pour moi. – Qu’en sais-tu ? demanda-t-elle. – Je n’ai pas
confiance en toi », répondit Yvain. Morgane le regarda avec ses yeux intensément
lumineux. « Tu as bien tort. Luned est une de mes fidèles servantes, et c’est
sur mon ordre qu’elle est venue à ton secours quand tu te trouvais dans un
péril mortel. C’est encore sur mon ordre qu’elle a fait en sorte de te
réconcilier avec Laudine de Landuc, puis te permettre de l’épouser. Il est vrai
que tu t’es acquitté de ta dette envers elle, puisque à ton tour, tu lui as
sauvé la vie. Écoute-moi bien, Yvain, fils du roi Uryen : il y a des
choses qui te dépassent, parce que tu n’es pas capable de les comprendre. Sache
que, demain, il te faudra combattre deux adversaires que personne n’a jamais pu
vaincre parce qu’ils sont protégés par des pouvoirs magiques, – Ce n’est pas la
première fois que j’affronterai de tels pouvoirs. Jusqu’à présent, j’en ai
toujours eu raison, au nom de Dieu tout-puissant. – Peut-être, mais tu n’as
jamais eu à combattre deux fils de diable. Je sais ce qu’il en est, et j’ai
reçu les enseignements de Merlin à ce sujet. » Elle se tut, fouilla dans
son manteau et tendit à Yvain un cordon au bout duquel pendait une médaille en
métal blanc. « Prends ce talisman et promets-moi de le porter sur toi
lorsque tu iras combattre ces maudits démons. Il m’a été remis par Merlin, et
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