La fée Morgane
c’est
le seul moyen de te protéger. Jure-moi de le porter. – Je te le jure, dit Yvain,
mais puis-je te demander, Morgane, pourquoi tu t’intéresses tant à moi ? Jusqu’à
présent, tu paraissais plutôt hostile à mon égard ! » Morgane sourit.
Elle regarda le ciel où tournoyaient les oiseaux. « Il faut que je parte, dit-elle.
Prends bien soin de toi. Fais-le au moins pour l’amour de ton père, le roi
Uryen. » Elle disparut de l’autre côté du mur. Peu après, Yvain vit un
oiseau noir s’envoler de l’échauguette et rejoindre ceux qui tournoyaient. Bientôt,
les oiseaux prirent la direction du couchant et disparurent dans les
brouillards du soir.
Yvain retourna au verger où l’on semblait ne pas s’être aperçu
de son absence. Comme le moment du repas était proche, on l’emmena dans la
salle où les tables avaient été préparées. On le fit asseoir entre le maître du
château et sa fille et on lui servit les mets les plus délicats qu’il eût
jamais mangés. Et quand la nuit fut venue, on le mena dans une chambre, en
grande cérémonie. Lorsqu’il fut au lit, bien à l’aise, ils se retirèrent. Et
Yvain s’endormit, le lion gisant à ses pieds comme il en avait l’habitude.
Le lendemain, il demanda naturellement son congé à son hôte.
« C’est impossible, répondit celui-ci. Ami, il faut que tu saches qu’il y
a dans ce château une très mauvaise coutume de diablerie. Cette coutume est
établie depuis fort longtemps et je suis obligé de l’observer. Je ferai venir
ici deux hommes d’armes très puissants et très rusés : il te faudra
combattre contre eux, de gré ou de force. Si tu peux te défendre
victorieusement et les tuer tous les deux, tu auras ma fille en mariage et tu
posséderas ce château avec toutes ses dépendances. – Seigneur, répondit Yvain, je
n’ai point le désir de me marier. – Tais-toi, bel hôte, tu cherches de vaines
excuses, car tu ne peux échapper à la nécessité. Celui qui pourra vaincre les
deux maudits qui vont t’assaillir, devra avoir ma fille pour épouse, mon
château et toute sa terre. Le combat ne peut manquer d’avoir lieu. Est-ce la
couardise qui te fait parler ainsi ? Tu pensais peut-être éviter la
bataille ? Mais sache que tout chevalier qui couche dans ce château ne
peut échapper à son destin. Et ma fille ne sera mariée que lorsque les deux
maudits seront morts. – Fort bien, dit Yvain. Puisqu’il en est ainsi, je me
battrai. Mais quant au reste, nous en reparlerons plus tard. »
Les deux fils du lutin diabolique s’avancèrent. Ils étaient
hideux et noirs. Ils portaient tous deux un bâton cornu de cornouiller, garni
de cuivre, d’aspect redoutable. Ils étaient recouverts d’une épaisse armure, des
épaules jusqu’au bas des genoux, mais ils avaient la tête nue. Ils tenaient, au-dessus
d’eux, des boucliers ronds avec lesquels ils faisaient des moulinets. Le lion, quand
il les aperçut, commença à frémir, près de se jeter sur eux. Mais ils le virent
et dirent à Yvain : « Vassal, écarte ton lion qui nous menace ! Proclame-toi
tout de suite vaincu, ou mets cet animal en lieu sûr afin qu’il ne puisse ni t’aider
ni nous faire du mal ! – C’est juste, dit Yvain, où voulez-vous que je l’enferme ? »
Ils lui montrèrent une chambre dont la fenêtre était fermée d’un lourd grillage.
« Enferme-le là-dedans ! » Il fallut bien accepter et Yvain
emmena son lion dans la chambre puis revêtit ses armes.
Quand ils virent le lion enfermé, les deux champions s’élancèrent,
brandissant leurs bâtons. Du premier coup, ils enfoncèrent le bouclier et le
heaume d’Yvain, et celui-ci dut reculer tant le choc avait été rude. Il se
reprit cependant et, avec sa bonne épée, il commença à frapper hardiment ses
adversaires qui durent reculer à leur tour. Mais les coups pesants que leur
portait Yvain ne faisaient qu’accroître leur fureur, et Yvain se sentait
faiblir.
Dans la chambre, le lion ne restait pas inactif. Il avait
bien compris que son maître était en danger et bouillait d’impatience d’aller
le rejoindre pour le protéger et mettre à mal ses ennemis. Comme il ne pouvait
rien contre la fenêtre munie d’épais barreaux, ni contre la porte, qui était en
fer, il se mit à gratter le sol de ses griffes, le plus profondément possible. Et
il creusa tant et si bien qu’il y eut bientôt un grand vide sous la porte. Alors,
le lion s’aplatit le plus qu’il
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