La fée Morgane
chevauché une partie de l’après-midi, il aperçut
une grande forteresse bien orientée, perchée sur un grand tertre, entourée d’une
eau profonde et non loin d’un étang qui miroitait au soleil. Rencontrant une
vieille femme qui portait un fagot de bois, il lui demanda quel était le nom de
cette forteresse et qui en était le maître. « Le nom de cette forteresse
est Corbénic, répondit-elle. Quant au maître, il s’appelle Pellès, et il est
roi de la Terre Foraine. » Bohort poursuivit son chemin jusqu’à l’entrée. C’est
alors qu’un homme, monté sur un cheval bai, s’approcha de lui, manifestant d’évidentes
intentions hostiles. « Laisse-moi passer ! dit Bohort. – Tu n’entreras
pas ici, répondit l’autre, du moins sans m’avoir combattu ! – Puisque tu
le veux, battons-nous ! » répondit Bohort.
Ils se ruèrent l’un sur l’autre. Au premier choc, Bohort fit
basculer son adversaire sur le sol. Sautant lui-même à bas de son cheval, il
tira son épée et la mit contre la gorge de celui qui gisait à terre. « Je
te ferai grâce si tu me dis pourquoi tu voulais m’empêcher de passer ! dit
Bohort. – Je vais te le dire, seigneur. J’ai à me plaindre de Lancelot du Lac
et je m’étais promis d’attaquer tous ceux de sa parenté. Or, je t’ai reconnu, Bohort
de Gaunes, et c’est pourquoi j’ai voulu t’empêcher d’entrer dans cette
forteresse. Je m’avoue vaincu. Accorde-moi ta grâce et je ferai selon ta
volonté. – Eh bien, dit Bohort en remettant son épée au fourreau, je veux que
tu ailles trouver Lancelot du Lac et que tu t’en remettes à lui. – Je le ferai,
seigneur, dit l’autre en se relevant. – Quel est ton nom ? demanda encore
Bohort. – On m’appelle Brinol du Plessis. – Alors, va-t’en, et ne te mets jamais
plus en travers de ma route ! » Et Bohort remonta sur son cheval. Il
franchit le pont, entra dans la forteresse, s’en alla à travers les rues. Il
arriva ainsi devant un manoir magnifique et mit pied à terre.
Aussitôt, des valets vinrent vers lui : « Sois le
bienvenu, seigneur ! » dirent-ils. L’un d’eux lui prit son cheval et
les autres le menèrent dans la cour du palais où on le désarma. Alors, arrivèrent
des dames et des jeunes filles habillées de beaux vêtements et d’allure aimable,
et qui lui demandèrent d’où il était et quel était son nom. « Je suis de
la maison du roi Arthur, répondit-il, et je m’appelle Bohort de Gaunes. – Bienvenue
à toi, seigneur ! » s’écria-t-on de toutes parts. La nouvelle se
répandit rapidement dans le palais et chacun d’annoncer : « Le cousin
de Lancelot du Lac est dans nos murs ! »
On le fit entrer dans une grande salle ornée de belles boiseries.
Puis, quelques chevaliers sortirent d’une chambre attenante et vinrent le
saluer. Parmi eux, se trouvait un grand vieillard qui boitait et qui était
soutenu par deux écuyers : c’était Pellès, le roi de la Terre Foraine, qu’on
appelait également le Riche Roi Pêcheur. Bohort le reconnut fort bien grâce à
la description que Lancelot lui en avait faite. Mais, de si loin que le roi
aperçut Bohort, il lui fit joyeux visage et s’écria : « Bohort !
Sois le bienvenu ! – Seigneur roi, répondit Bohort, que Dieu te bénisse
ainsi que tous ceux de ta cour ! »
Ils s’assirent alors au milieu de la salle sur une
courtepointe de satin et engagèrent la conversation. Le roi l’interrogea sur
Lancelot, sur son état, sur sa vie. « Il y a longtemps que je ne l’ai vu
et qu’il n’est point reparu à la cour d’Arthur, dit Pellès, et je me demande ce
qu’il est devenu. Pour avoir de ses nouvelles, j’ai dépêché des messagers à la
cour du roi plus de sept fois en un an. » Bohort rassura Pellès sur le
sort de Lancelot. « J’étais en compagnie de Lancelot pas plus tard qu’hier,
dit-il, et je peux t’assurer qu’il est au meilleur de lui-même. Il m’a promis d’être
à la cour d’Arthur le jour de la Pentecôte. Je suis sûr qu’il tiendra sa parole. »
Pendant cet entretien, sortit d’une chambre la fille du roi
Pellès, élégamment et richement parée, et vêtue à merveille. Sa beauté
éclipsait celle de toutes les autres dames et jeunes filles qui se trouvaient
dans le manoir. Elle entra dans la salle entourée d’une nombreuse compagnie. Calmement,
en femme courtoise et digne qu’elle était, elle s’avança vers Bohort, le salua
en lui souhaitant
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