La fée Morgane
de la nuit et demeura
aux fenêtres jusqu’à l’extrême clarté du jour. Quand il fit très sombre, il
alla s’asseoir sur un grand lit qui se trouvait dans une chambre tapissée de
tentures aux couleurs vives. On lui avait dit que c’était le Lit de la
Merveille. À peine fut-il assis qu’il entendit, à l’intérieur du palais, un
bruit épouvantable. Et, aussitôt, un vent violent se leva, qui fit se heurter
les fenêtres. Il y en avait plus d’une centaine et, à les entendre, on eût dit
que le palais allait s’effondrer sous le vacarme. Bohort ne broncha pas : la
main sur la poignée de son épée, il attendait que quelque chose se produisît.
Mais, pendant toute la durée du vacarme, il ne vit rien qui
pût être inquiétant ou surprenant. Le calme revint d’un seul coup, et c’est
tout juste si Bohort entendait le bruit de sa propre respiration. C’est alors
que surgit d’une chambre attenante une lance, grande et longue, dont le fer
flamboyait comme un cierge allumé. Elle fondit sur Bohort, rapide comme la
foudre, et elle le frappa d’un choc si rude qu’elle s’enfonça d’un bon
demi-pied de profondeur dans la chair de son épaule gauche, à travers le
bouclier et le haubert. À la douleur de cette blessure, il sentit son esprit se
troubler, d’autant plus qu’il ne voyait pas celui qui l’avait frappé. Il sentit
alors qu’une main invisible lui retirait le fer de la plaie, et que la lance s’en
revenait lentement dans la chambre d’où il l’avait vue surgir. Il s’effondra
sur le lit en si triste état qu’un autre que lui aurait probablement perdu connaissance.
Mais il avait décidé de ne pas bouger de ce lit, bien résolu à y passer la nuit
quoi qu’il dût arriver.
Peu après, il vit sortir d’une autre chambre un chevalier
armé de pied en cap, qui était de haute taille et de forte corpulence. « Seigneur
chevalier, dit le nouvel arrivant en apercevant Bohort, lève-toi de ce lit et
va-t’en te reposer sur un autre ! – Certainement pas, répondit Bohort. Je
n’ai aucune intention de me lever, ni pour toi ni pour un autre, tant que je
serai capable de tenir tête à quiconque m’agressera ou me provoquera ! – Si
tu souhaites le combat, tu n’y gagneras rien, quelle qu’en soit l’issue, si je
te tue ou si tu me tues ! Mais, de toute façon, tu ne peux plus refuser le
combat si tu ne te lèves pas. – Peu m’importe, dit Bohort, je n’obéirai pas à
quelqu’un qui m’ordonne sans raison de me lever de ce lit. – Ma foi, fit l’autre
en ricanant, je ne te laisserai pas en repos tant que je pourrai manier mon
épée. En garde ! »
Bohort se voyait contraint à la bataille. Il se sentait
pourtant bien mal et sa blessure le faisait cruellement souffrir. Tout autre
que lui n’eût pas eu le courage de se défendre. Il serra les dents et brandit
son épée, bien décidé à mourir plutôt que de perdre son honneur. Il bondit sus
au chevalier et lui porta un coup formidable sur le heaume et sur le bouclier. Son
adversaire, d’une valeur égale à la sienne, se défendit à merveille, ripostant
avec habileté et hardiesse aux attaques de Bohort. Mais, malgré sa blessure, Bohort
était encore très leste et agile ; il poussa si rudement le chevalier qu’il
le fit peu à peu reculer. Il semblait à bout de forces et était sur le point de
s’écrouler lorsque, dans un suprême effort, il atteignit la porte d’une chambre,
l’ouvrit et disparut à l’intérieur. Bohort tenta d’ouvrir la porte, mais n’y
parvint pas. Il revint sur le lit, attendant la suite des événements.
Or, quelques instants plus tard, cette même porte s’ouvrit
brutalement, et le chevalier, qui semblait épuisé auparavant, jaillit aussi
rapidement que l’éclair, et courut sus à Bohort avec une impétuosité
surprenante. « Ma parole ! se dit Bohort. Voici qui tient du prodige !
Que dire de ce chevalier ? Je le croyais à l’instant exténué et vaincu, près
d’abandonner le combat, mais depuis qu’il est revenu de cette chambre, il est
doté d’une force bien supérieure à celle qu’il avait au début de la bataille. Je
me demande d’où il tient cela ! De Dieu ou du diable ? »
Pendant que Bohort se livrait à ces réflexions, le chevalier
l’assaillait, l’épée brandie en l’air, et lui donnait de grands coups partout
où il pouvait l’atteindre. Bohort ripostait de belle façon, tout à fait capable
de répondre à un adversaire qui ne
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