La fée Morgane
Celle-ci se débattait et implorait son agresseur de la
laisser en paix. Mais, quand il aperçut les deux chevaliers, l’homme lâcha la
jeune fille et, piquant des deux, s’éloigna au grand galop. Sans plus tarder, Lancelot
se lança à sa poursuite. Quant à Bohort, il s’empressa de sauter à bas de sa
monture et de porter secours à la jeune fille qui gisait sur le sol, inanimée.
Comme il ne disposait pas d’eau, Bohort lui frotta les
tempes avec une touffe d’herbe bien verte. Elle ne fut pas longue à reprendre
ses esprits. Ouvrant les yeux, elle dit : « Béni sois-tu, Bohort !
Tu m’as délivrée de l’odieux personnage qui voulait m’emmener contre mon gré !
– Je n’étais pas seul, répondit Bohort. Lancelot s’est lancé à la poursuite de
ton agresseur. – Je souhaite qu’il le rejoigne et le châtie de sa méchanceté, s’écria-t-elle.
Aucun homme au monde n’est aussi félon que ce Gaul, fils de Klut. Depuis que ma
maîtresse, ma dame Morgane, l’a ridiculisé par le jeu du blaireau dans le sac, il
la poursuit de sa haine. Mais, comme ses sortilèges à lui sont moins puissants
que ceux de ma maîtresse, il ne peut s’attaquer directement à elle, et il se
venge sur les autres. – Je te reconnais, dit Bohort, tu étais avec Morgane
lorsque je vous ai rencontrées l’autre jour dans ce pays désertique parsemé de
tertres. – C’est exact, dit la jeune fille. Ma maîtresse m’avait envoyé porter
un message, et c’est au retour que le maudit Gaul m’a surprise et a voulu m’emmener
avec lui. Sans ton intervention et celle de Lancelot, je crois bien qu’il
aurait réussi à m’entraîner dans son repaire ! »
Bohort regardait autour de lui. Le feu finissait de s’éteindre.
Il n’y avait nulle trace de son écuyer, nulle trace de Lancelot non plus.
« Où est ton cheval ? demanda-t-il. – Je ne sais pas, répondit-elle. Gaul
me portait au travers de sa selle. – Alors, dit Bohort, monte en croupe
derrière moi et je vais te ramener chez ta maîtresse. Tu m’indiqueras le chemin
que nous devons suivre. » Ils partirent immédiatement. La nuit était
maintenant très noire, mais la jeune fille le guida à travers les méandres de
la forêt, et ils parvinrent bientôt devant un beau château de pierre aux
couleurs violettes et qui devait être le château de Morgane. Lorsqu’ils furent
à la porte, la jeune fille appela à haute voix, et on vint leur ouvrir.
Bohort fut accueilli en grand honneur. On le désarma, on lui
servit en abondance mets et boissons de choix, et Morgane elle-même vint
converser avec lui. Après l’avoir vivement remercié d’avoir délivré sa suivante,
elle lui demanda : « Quel est le but de ton voyage ? – Accomplir
des actions dignes d’un fils de roi », répondit-il. Morgane se mit à rire.
« Souvent, les fils de roi ne ressemblent pas à leur père, dit-elle, mais
je sais, Bohort, que tu es promis à une haute destinée. As-tu déjà entendu parler
du Saint-Graal ? – Certes, oui. On raconte, à la cour du roi Arthur, que
Merlin a prédit que le jour viendrait où tous les chevaliers de la Table Ronde
partiraient à la recherche de ce Graal, ce vase qui contient, paraît-il, le
sang de Notre-Seigneur, et qui se trouve caché dans une forteresse inaccessible.
– Fort bien, dit Morgane, mais je peux te révéler ceci : tu seras parmi
ceux qui découvriront le Graal. Tu ne seras pas le premier, mais tu seras celui
qui témoignera des aventures. Sache également que personne ne te reprochera le
moindre manquement à la mission dont le destin t’a investi. » Bohort
demeura songeur. « Et Lancelot ? demanda-t-il. – Je n’ai rien à te
dire au sujet de Lancelot », répondit Morgane avec dureté.
Quand il fut l’heure d’aller dormir, on conduisit Bohort à
une chambre confortable où il put se reposer tout à loisir. Le matin, il se
leva de bonne heure et prit congé de Morgane. « Où vas-tu aller, maintenant ?
lui demanda-t-elle. – Je vais retourner à l’endroit où j’ai rencontré ta
suivante. Je dois rejoindre Lancelot. – Il y a beau temps que Lancelot n’y est
plus. Si tu veux mon avis, tu suivras le cours de la rivière qui est au pied de
ce château et tu descendras le long de la vallée. Il se pourrait que tu sois
témoin de bien des merveilles. » Et elle le conduisit à la porte du
château, puis le regarda s’éloigner dans la direction qu’elle lui avait
indiquée.
Après avoir
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