La Femme Celte
phénomène qu’on en est venu à considérer
les astres comme des entités plus ou moins divines, capables d’agir sur les
destinées du monde, mais seulement pour les charger d’une signification liée au
psychisme humain, et dans la mesure où ce psychisme, pour atteindre un niveau
de conscience claire, doit utiliser des supports concrets sous forme de
symboles et d’allégories. Dire que la Lune est masculine et que le Soleil est
féminin, cela n’est rien d’autre que projeter sur des éléments extérieurs
hétérogènes, en l’occurrence cosmiques, certaines données intérieures de la
conscience.
Il faut donc insister sur l’importance relative de cette
classification sous peine de la rendre abusive. En grec, en latin (et aussi en français),
l’usage veut que le Soleil soit du genre masculin : cela veut dire qu’il
est revêtu, par les peuples gréco-latins, de qualités masculines. Par contre,
dans les langues celtiques, germaniques – et aussi en hébreu, ce qu’on oublie
souvent –, ce même Soleil est du genre féminin, ce qui veut dire qu’il est affecté,
chez les peuples concernés, de qualités féminines Est-ce par hasard ? Le
genre des « choses » et des abstractions paraît souvent bien
arbitraire, et, de toute façon, peu logique. Cependant, si l’on constate que le
mot « arbre » est féminin en latin alors qu’il est masculin en français,
que le mot « navire » est féminin en latin et en anglais, mais
masculin en français, cela doit vouloir dire quelque chose. L’usage
linguistique est toujours provoqué par une tournure d’esprit, une structure mentale,
pour ne pas dire une option philosophique : par-delà la langue et ses
systèmes plus ou moins complexes, plus ou moins compliqués, apparaît le mythe
qui, assurément, est le noyau de la comète dont la chevelure de flammes empêche
de discerner la nature réelle.
Dans ces conditions, le thème de la Femme-Soleil, tel qu’il
est mis en valeur dans la légende de Tristan et Yseult, appartient à une
structure mentale qui dénote elle-même tout un système de pensée probablement
hérité du plus lointain passé. « La lune est étroitement liée au principe
du soleil dont elle reçoit la clarté », écrit Marie-Louise von Franz, la
plus fidèle disciple de Jung, dans L’Interprétation
des contes de fées . « Le soleil, source de conscience dans
l’inconscient, est vraiment une divinité, car il représente un facteur
psychique actif capable de créer une conscience plus grande. La lune, elle,
symbolise un état de conscience moins clair, plus primitif, plus doux et plus
diffus. Lorsque, comme en allemand, le soleil est du genre féminin, cela
signifie que la conscience se trouve située dans l’inconscient et qu’il
n’existe pas encore de conscience parvenue à maturité ; elle est pleine de
pénombre et comporte une profusion de détails qui ne sont pas clairement
distingués. »
Cette interprétation psychologique moderne du mythe de la
Femme-Soleil conduit, à travers les différents récits celtiques, et
particulièrement à travers les péripéties de la légende de Tristan et Yseult, à
élargir considérablement un débat qui concerne non plus seulement des individus
exemplaires mais les sociétés auxquelles appartiennent ces individus. Ici,
l’ontogenèse et la phylogenèse sont inextricablement mêlées, et pour ainsi dire
identifiées. Tristan, avant Yseult , est dans
un état de latence, de conscience indifférenciée. Il est l’Adam primitif avant
la manducation de la pomme interdite que lui présente Ève. Tristan, après Yseult , devient l’Homme Nouveau, quels que
soient les ennuis auxquels il s’expose dans sa nouvelle condition (banni du
royaume, exilé dans la forêt, hors-la-loi et adultère). Il est le second Adam,
celui qui se voit nu après la « faute », c’est-à-dire qu’il se révèle
à lui-même en pleine conscience, mais il doit payer cette maturation de la
conscience par une lutte constante contre un univers devenu hostile
(auparavant, il ne savait pas que cet univers était hostile). Tout cela
ressemble fort à des épreuves initiatiques au centre desquelles brille de tous
ses feux le personnage solaire de la Femme, qu’elle soit Yseult ou qu’elle soit
Ève. Mais si Yseult sort magnifiée du jugement moral émis par l’opinion
publique (parce que l’Amour rachète tout), la malheureuse Ève est tenue, par la
même opinion, comme responsable de
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